Par Jean-Pierre Labat
Nous sommes en mai 1975. Je reviens d’un long-courrier, un Rio Buenos-Aires je crois. Je passe, comme il est d’usage, à mon casier. Dans mon courrier, il y a une lettre du Commandement PNC. Je l’ouvre et je n’en crois pas mes yeux : « Nous vous avons choisi pour effectuer une série de vols sur le Concorde, de mai à fin juillet. Il s’agit d’un programme de vols dits d’endurance. Les PNT seront des pilotes, mécaniciens et ingénieurs navigants d’essais. Ils sont tous de la SNIAS, même si des PNT Air France participeront également à ce programme (Pierre Dudal, Jacques Schwartz, René Duguet etc.), Vous effectuerez prochainement un stage de formation commerciale à Orly qui sera suivi d’un stage de sécurité à Toulouse, chez Aéroformation à la SNIAS. »
Ma surprise passée, je me demande pourquoi le Concorde si tôt car, autant que je me souvienne, personne ne parlait du Concorde en 1975 dans notre monde de navigants. Nous savions simplement qu’il était attendu dans la flotte de la Compagnie au cours de l’année 1976.
Nous sommes une vingtaine d’heureux élus. Un premier stage est organisé à Orly pour une prise de connaissance et d’informations. M. Jean-Paul Boucher nous accueille et insiste sur la très grande importance de la mission qui va nous être confiée. M. Claude Monpoint nous fait un brillant exposé sur le Concorde. Il faut dire qu’il est le seul cadre PNC à le connaître autant, ayant effectué plusieurs vols pour la SNIAS, notamment le premier vol transatlantique du 26 septembre 1973 où, après avoir fait l’ouverture du nouvel aéroport de Dallas, le Concorde de présérie N°02 reliait en direct Washington Dulles et Paris Orly. J’ajouterai que Claude Monpoint, après d’âpres négociations, avait réussi à convaincre les représentants du SNPNC [Syndicat National du Personnel Navigant Commercial ndlr] qu’il était absolument nécessaire qu’ils fassent partie de la mission. Seule une expérience vécue « sur le terrain » dans des conditions réelles, pourrait permettre d’aborder le délicat problème d’une Convention du personnel pour cet avion nouveau.
M. Jean Franchi, pilote d’essais très connu, nous fait l’honneur de présider nos réunions. Il nous parle surtout du rôle que la SNIAS attend de notre part. M. Jean-Paul Boucher nous explique ensuite la procédure qui a conduit à notre sélection. Nous sommes 5 chefs de cabine, 9 hôtesses et 5 stewards auxquels s’ajoutent 6 membres du SNPNC ainsi que des cadres PNC qui viennent renforcer nos équipages.
Les premiers vols débutent fin mai. Cinq équipages sont constitués. J’appartiens à l’équipage « C ». Le chef de cabine est Pierre Bidaut, les hôtesses Michèle Vallée et Line Fonroques, le représentant du SNPNC Jean-Claude Blachère et moi-même en « stiou ». Un cadre PNC complète systématiquement notre équipe. Souvent c’est Claude Monpoint ou Robert Burguière.
17 juillet 1975. Vol d’endurance ST4002. Jean-Pierre Labat, Michèle Vallée, Jean-Claude Blachère,
Pierre Bidaut, Line Fonroques
Notre clientèle, tous des invités soit du gouvernement français soit de la SNIAS ou d’Air France, se compose de personnalités du monde de la politique, des représentants de gouvernements de pays ayant exprimé le souhait d’acquérir le Concorde pour la Compagnie de leur pays. Il y a également des personnalités du monde des arts et des lettres ainsi que des scientifiques. Nous avons aussi à bord des capitaines d’industrie et bien sûr des journalistes de la presse internationale. Les passagers sont émerveillés. Notre équipe fonctionne beaucoup à l’amitié ce qui, comme chacun sait, est le ciment de la réussite d’un vol.
Nos relations avec les PNT de la SNIAS, MM. Turcat, Franchi, Perrier, Defer, Pinet, Rétif etc. (je ne peux tous les citer) sont des plus chaleureuses. L’ingénieur navigant d’essais M. Claude Durand, à la personnalité très attachante, contribue beaucoup à l’harmonie entre les pilotes de la SNIAS et les PNC d’Air France. Je voudrais dire aussi que toutes les équipes de la maintenance de la SNIAS, les « Toulousains » basés à Rio et Caracas durant toute la durée du programme se joignent souvent à nous le soir pour le dîner.
Photo prise au pied de la passerelle avec les équipes de la maintenance de la SNIAS et de Rolls Royce. On peut remarquer l’ancienne livrée Air France arborée lors des vols d’endurance par le F-WTSC.
Pendant 2 mois, nous effectuons des vols sur Rio, Caracas, des boucles sur l’Atlantique Nord ainsi qu’un vol sur Gander dont le but est de travailler sur la faisabilité de ce qui serait un jour le Paris – New York. Nous vîmes arriver la fin de ces vols d’endurance avec beaucoup de tristesse. Nous avions pris l’habitude de vivre avec une clientèle très attachante, dans un bien-être permanent.
Nous avions une excellente relation avec les représentants de la direction de la SNIAS. Je n’oublierai jamais ce que nous dit un jour son PDG, M. Henri Ziegler : « Nous vous avons choisi avant tout pour vendre le Concorde et je constate que vous vous acquittez parfaitement de cette mission ».
JPL
Extrait de l’article « 1975, les vols d’endurance Concorde » paru dans la revue Mach 2.02 d’avril 2016.
Photos et documents Jean-Pierre Labat
LES PNC DES VOLS D’ENDURANCE CONCORDE
23 mai 1975. Réunion à Orly (Bâtiment SFP) en vue de présenter aux futurs membres d’équipage PNC Concorde (Cadres, 100% et SNPNC), la mission que leur confiait la SNIAS
Photo des 39 PNC regroupés autour de Jean Franchi.
Chefs de cabine : Martine Camuzeaux (3), Monique Berducat (6), Daniel Blot (19), Michel Nacoul (27), Pierre Bidaut (37).
Hôtesses : Martine Wieser (4), Martine Marage (5), Corinne Daricarrère (8), Michèle Vallée (10), Monique Boudon de la Roquette (11), Line Fonroques (20), Claudette Tiger (22), Françoise Haffner (24), Danièle Mirbeau (40).
Stewards : René Rueda (1), Francis Castex (21), Jean-Marie Martin (28), Jean-Pierre Labat (30), Jean-Pierre Arrighi (32).
SNPNC : Jacques Laporterie (13), Louis Thomasset (14), Gérard Gomez (18), Jean-Claude Blachère (26), Michèle Fuss (29), Alain Crenn (31).
Cadres : Elsa Drouet (2), Huguette Régnier (9), Jeannette Lieux (12), René Sandt (15), Pierre-Yves Guibert (16), Claude Monpoint (17), Henri Jacquin (23), Robert Burguière (25), Michel Monchablon (33), Albert Meyrignac (34), Jean-Paul Boucher (35), Jean-Pierre Brocas (36), Marylène Vanier (38), Jean Corcessin (39).
Pilote SNIAS : Jean Franchi (7).