Par Pierre Grange
Ce jour de printemps 76 est un moment important dans la saga Concorde puisque ce 24 mai, l’exploitation commerciale supersonique débute vers les Etats-Unis. Ce premier vol fait suite à la décision du Juge Coleman qui, le 4 février de la même année, autorisait la desserte commerciale d’un certain nombre de terrains américains dont New-York et Washington Dulles. Il s’agit d’ailleurs d’une autorisation à durée déterminée car révocable avec un préavis de 4 mois ou immédiatement en cas de « danger pour la santé, le bien-être ou la sécurité du peuple américain » (sic).
Les Compagnies Air France et British Airways souhaitent ouvrir au plus tôt New-York et programment donc le premier vol vers Kennedy pour le 15 mars 1976. C’est sans compter avec les riverains de New-York qui, par l’intermédiaire du PONYA (Port of New-York Authority), parviennent à empêcher la venue de Concorde durant plus d’un an et demi. Il faudra une décision de la Cour Suprême pour débloquer l’affaire fin 1977 mais « that’s another story ».
Ce 24 mai, les deux Compagnies ont décidé d’une mise en service conjointe vers Washington Dulles. Il est prévu que les avions se suivent à une douzaine de minutes d’intervalle et que les contrôleurs d’approche fassent le nécessaire pour que les atterrissages soient simultanés. Dans le cockpit, Pierre Dudal est le commandant de bord, Alain Puyperoux occupe la place droite et Martial Détienne est l’officier mécanicien navigant. L’équipage de cabine est composé de Claude Monpoint (cadre PNC assurant la fonction Chef de Cabine), Martine Marage, Françoise Rémy, Martine Wieser (hôtesses) Claude Couybes et Albert Leblanc (cadres PNC faisant office de stewards).
Le vol se déroule normalement et Pierre Dudal exécute ce que l’on appellera, par la suite, une approche décélérée qui permet de gagner du temps, de moins consommer de carburant et de moins faire de bruit ; autant dire que, par la suite, cela devint le type d’arrivée privilégiée. Elle consiste à retarder au maximum la stabilisation à la vitesse finale d’approche, ce moment où il faut remettre de la poussée et donc faire du bruit. Cette arrivée, relativement silencieuse, fera titrer aux journaux locaux que Concorde était arrivé à « pas feutrés ». Huit mille personnes se sont massées au bord du terrain pour assister au spectacle. Pierre Dudal rapporte que les seuls manifestants, une vingtaine, appartiennent au CATCH : Citizens Against The Concorde Here. Les deux avions sont placés nez à nez devant l’aérogare futuriste de Dulles et le photographe officiel immortalisera la scène.
Devant les Concorde stationnés face à face à Washington Dulles, l’équipage PNC : Albert Leblanc, Martine Marage, Françoise Rémy, Claude Monpoint, Martine Wieser et Claude Couybes
La réception des autorités américaines est chaleureuse ; le document « suivi de vol » de chaque commandant est remis officiellement au représentant du Smithsonian Institute ; Concorde entre déjà dans l’histoire ! Les équipages AF et BA se rendent ensuite à la réception donnée par le National Press Club au cours de laquelle Pierre Dudal confie à quelques journalistes que le décollage retour, prévu pour le lendemain, risque d’être bien plus bruyant que l’atterrissage.
Effectivement, le décollage, suivi de près par tout le monde, et par la presse en particulier, dépasse largement les niveaux sonores habituels : 129 décibels à comparer aux 116 du Boeing 707, l’avion réputé le plus bruyant à l’époque. Le point de mesure qui a relevé ce niveau de bruit est situé dans une zone boisée et peu peuplée, ce qui explique qu’il n’y ait pas eu trop de plaintes ce jour-là et que la desserte de Washington Dulles n’ait jamais été remise en cause par la suite malgré cette première mauvaise impression.
Réception au National Press Club : Martine Marage, Claude Monpoint, Martine Wieser,
Claude Couybes et Albert Leblanc
Curieusement, cette grande première ne semble pas avoir marqué les esprits ; une des explications certainement étant que chacune et chacun attendaient l’ouverture de New York
PG
La façade de l’agence Air France des Champs Elysées en 1984