Nous sommes dans l’après-midi. Depuis un moment, Lewis Whyld, un jeune photographe, se tient sur le patin d’un hélicoptère, dans le vent glacial du rotor principal. Il doit se pencher pour surplomber le Clifton Suspension Bridge situé 500 mètres plus bas. C’est la deuxième fois qu’il monte à bord d’un hélicoptère et, il l’avouera plus tard, il est terrifié aussi à l’idée de louper la photo. Fraichement embauché, il s’est porté volontaire pour couvrir l’arrivée de Concorde à Filton et il doit prendre une photo aérienne du G-BOAF avant son dernier atterrissage. Pour l’encourager, son boss lui a simplement dit « ne la foirez pas ! ».
Prendre une photo d’un Concorde survolant un pont à basse altitude est une véritable gageure. Les chances sont minces pour qu’il passe juste au-dessus du pont et sous le bon angle et, en plus, il faut que l’hélicoptère soit au bon endroit. Avec son matériel, Lewis n’a droit qu’à une photo et Concorde vole vite … même en approche.
Dans cette après-midi ensoleillée, il y a aussi un problème d’exposition. Concorde est si blanc et l’arrière-plan, fait d’arbres et de rivière, si sombre qu’il est trop facile de surexposer l’avion. Quant à la mise au point, ce n’est pas gagné non plus. Si elle se fait sur un détail au sol, et l’hélicoptère se déplace sans cesse, le Concorde apparaîtra flou.
Avant l’arrivée de Concorde, Lewis Whyld a dû faire une dizaine de réglages différents de son appareil photo. Il témoignera ensuite de ce moment crucial : « Quand Concorde est arrivé et qu’il s’est incliné en dessous de moi, je me tenais sur le patin de l’hélicoptère, penché à l’extérieur, tirant sur mon harnais, surplombant le vide et j’ai déclenché la photo juste comme il passait le pont. Je ne pouvais réaliser ce que cela donnerait avec la falaise, le pont et la foule encadrant l’appareil. »
Lorsque Lewis pu visionner son travail, il s’est simplement dit : « j’ai fait le job ! ». C’est seulement quand ses nombreux collègues venus couvrir l’évènement ont fait cercle autour de lui, qu’il a réalisé que sa photo était certainement très réussie.
L’extraordinaire de cette image vient de sa dimension humaine et historique. D’une part, elle montre l’attachement des gens venus admirer Concorde une dernière fois mais aussi elle permet de voir cet avion, prouesse technique du 20e siècle, saluer le Clifton Suspension Bridge, triomphe architectural du 19e siècle. C’est un bel hommage rendu à la ville de Bristol qui s’enorgueillit d’avoir toujours été à la pointe des techniques.
PG
Le pont suspendu de Clifton, mis en service en 1864, enjambe la rivière Avon et relie Clifton, un quartier de Bristol, à Leigh Woods dans le Somerset.
Il est parfois considéré comme le symbole de la ville de Bristol. © James Smith