3 mars 1975, le Sierra Alpha à l’épreuve de la piscine

Par Pierre Grange

Nous sommes le 3 mars 1975, le Concorde de présérie français, le Sierra Alpha affronte la redoutable épreuve dite « de la piscine », première d’une série de 12. Sur une des pistes de Blagnac, des boudins en caoutchouc sont étalés selon un large quadrilatère permettant de retenir l’eau. L’épaisseur d’eau est strictement mesurée car elle concerne une épreuve de certification. L’avion doit traverser cette « flaque » en respectant des critères très précis de vitesse et de configuration. Cela permet d’étudier l’effet des projections d’eau sur l’appareil.

Le Sierra Alpha ne dispose alors d’aucun déflecteur sur ses roues, toutes situées devant les moteurs. Selon les vitesses d’entrée dans la « piscine », les entrées d’air aspirent des quantités plus ou moins importantes de liquide. Cela se traduit par des étouffements réacteur (*) voire de violents pompages. Dans les deux cas, la conclusion est formelle : l’avion n’est pas certifiable. A moins d’un an de la mise en ligne, et alors que débute le premier stage Air France en vue des vols d’endurance, c’est fâcheux.

Comment poser des garde-boues sur des boggies qui rentrent au chausse-pied dans leurs logements ? Bien que ce problème soit de responsabilité française, la solution viendra des Anglais. C’est ce que nous a révélé Jean Rech, Ingénieur en Chef Concorde, dans son interview du 29 mai 2009 (**) : « L’avion était incertifiable. Incertifiable ! Il y avait des problèmes d’ingestion à toute vitesse. Problèmes d’ingestion par le train avant, problèmes d’ingestion par le train principal, problèmes à 80 nœuds, problèmes à 130, problèmes à 160 nœuds… eh bien c’est l’université de Bristol qui nous a aidé, sur la suggestion des ingénieurs de chez BAe (British Aerospace). Il y avait une bonne équipe à Bristol, qui avait des moyens théoriques et des moyens d’essais importants qui ont permis de définir, tout à fait à la fin (là on était dos au mur !) les déflecteurs divers et variés que vous avez pu voir sur le train avant, sur le train principal devant ou derrière les roues ; ce qu’on appelle l’as de carreau, situé entre les 4 roues ou le chasse-bœuf devant le train principal. Eh bien, sans ces accessoires, nous ne pouvions pas certifier l’avion. »

Jean Rech terminait en rappelant la synergie des bureaux d’études français et anglais : « Et on l’a fait grâce à une compétence qu’avait BAE. Si vous voulez, on prenait le meilleur sans savoir, sans dire, est-ce que ça a été inventé ici ou pas ? »

Equipés de ces déflecteurs, Concorde passera avec succès l’épreuve de la « piscine » quelques mois plus tard.

PG

(*) voir « 15 février 1974. Panne de moteurs au décollage d’Anchorage, par Pierre Dudal »

(**) © Gens de Concorde DR

Le chasse-boeuf, un des équipements salvateur