Par Pierre Grange
Nous sommes en 1987. Après 3 années en ligne, je sais qu’aucun vol Concorde n’est anodin. L’incroyable rotation Louxor du 8 au 9 mai me le confirmera.
En cette période où les vols spéciaux fleurissent, on s’attend à tout lorsqu’une destination autre que JFK apparait sur la feuille de planning. Cette fois, Louxor est au programme. Concorde n’a jamais desservi cette célèbre ville de Haute-Egypte située à 700 km au sud du Caire. Il s’agit d’emmener des clients fortunés et mélomanes et quelques invités assister à « Aïda », le célèbre opéra de Verdi, qui sera donné dans le grand temple de Louxor (*).
L’équipage est très « branché » opéra : Edouard Chemel CDB, Pierre Baty OMN, Gérard Lompré CC, Anne Tisseau et Muriel Boccato en hôtesses, Michel Caudron, Michel Gaugain et Jean-Michel Sabo en stewards et moi-même en OPL. Nous décollons de Paris en début d’après-midi et mettons le cap sur Marseille afin d’accélérer à vitesse supersonique sur la Méditerranée.
Trajectoire au cordeau entre les îles
L’important ensuite est de savoir contourner les iles à une distance minimale de 45 kilomètres pour éviter de leur envoyer le moindre bang sonique. Le point le plus délicat se situe au sud de la Sicile par le travers de Malte, il faut bien viser … Nous n’oublierons pas de réduire à vitesse subsonique avant d’aborder le territoire égyptien au niveau d’El Daba. Sur les 2h56 de vol nous effectuerons 1h16 à vitesse supersonique (info lesvolsdeconcorde.com)
Parmi nos passagers, de grands noms de l’opéra ; je revois Mady Mesplé, célèbre cantatrice française des années 70, venue au cockpit à l’invitation d’Edouard, assister à l’atterrissage.
Mady Mesplé (1931 – 2020)
Arrivés à notre hôtel, on entend des musiciens faire leur gamme. Nous avons tous emporté un habit de soirée pour tenter d’assister au spectacle malheureusement aucun billet n’est en vente ! A l’heure dite, nous errons autour du temple sans trop savoir comment pénétrer dans l’enceinte. Il y a grand monde et les quelques personnes en charge du contrôle sont vite débordées. En restant au milieu de la foule qui se pousse à l’intérieur, il nous est possible d’entrer sans être interceptés. Nous trouverons des places assises. Tout ensuite est extraordinaire : Placido Domingo est Radames et les fameuses trompettes de Aïda résonnent entre les pierres du temple. La température est douce, on voit les étoiles. Inoubliable !
Avant le vol retour, Anne, Michel et Gérard sont détendus
Le lendemain nous rentrons sur Paris mais via Milan cette fois-ci car un autre vol Concorde Air France avait été affrété la veille entre Milan et Louxor. Il s’agit pour nous de ramener ses passagers en Italie. J’ai alors réalisé que notre clientèle de la veille était rentrée dans la nuit sur Paris. Malgré la Méditerranée à Mach 2, j’appris plus tard qu’ils étaient arrivés à 7h20 à CDG. J’eus alors une pensée pour Mady Mesplé qui devait être bien fatiguée après cette nuit blanche.
PG
Voir l’article d’Edouard Chemel sur ce vol en allant sur le site lesvolsdeconcorde / onglet Récits & anecdotes / 02/05/1987 / “En smoking et robe longue”
(*) Pour Aïda c’est une première à Louxor mais c’est un retour en Egypte puisque cet opéra est une commande d’Ismail Pacha, khédive d’Egypte, et que la première en fut donnée au Théâtre italien du Caire en 1871.