Par Pierre Grange
Peu de gens savent que le 27 juin 2003, après les flonflons qui ont accueilli le retour du fils prodigue à Blagnac et tandis que chacun retournait à ses occupations, les gendarmes apposaient des scellés sur le Fox Charlie, le transformant en auxiliaire de justice. L’enquête judiciaire consécutive à l’accident du 25 juillet 2000 était en cours et l’affaire dite de « l’entretoise » laissait planer un doute sur l’origine de l’accident.
Pour mémoire, une entretoise maintient en place les bagues de centrage de boggie de train principal. À la suite d’un défaut de maintenance, celle du train gauche manquait le jour de l’accident. Si les bagues ne sont plus maintenues, elles peuvent se déplacer et ne plus assurer leur rôle de centrage du boggie. Dans ces conditions, l’axe du boggie peut se déplacer de 2.5°.
Ce schéma montre comment le déplacement d’une bague de centrage (ou cisaillement) permet au boggie de bouger de 2,5°
Cela a permis à certains d’élaborer une théorie selon laquelle, lors de l’accident, le boggie gauche ripait et que l’échauffement induit était la cause de l’incendie et de la catastrophe.
En vérité, de nombreux éléments objectifs ont montré que le boggie gauche était resté correctement aligné et n’avait généré aucun freinage parasite. Les jours précédant l’accident, le Sierra Charlie avait effectué quatre étapes avec l’entretoise manquante et, comme Christian Marty le 25 juillet, aucun pilote n’avait noté une quelconque dissymétrie latérale. Le BEA avait pu vérifier sur les enregistreurs que l’avion accélérait droit. Il avait conclu : « rien dans l’ensemble des recherches qui ont été conduites n’a fait apparaître la moindre contribution de l’absence de l’entretoise à l’accident du 25 juillet 2000 ». (Page 155. Rapport définitif BEA)
Mais, en avril 2003, à l’annonce de l’arrêt des vols, les experts judiciaires demandent à ce que les effets d’un manque d’entretoise soient évalués sur avion à Toulouse, avant que le Fox Charlie ne se taise à jamais. Les équipes de maintenance d’Air France sont donc chargées de le maintenir en état de vol, le temps nécessaire pour réaliser ces essais. Elles le rééquipent dans sa configuration du 25 juillet 2000 : pneumatiques Goodyear et boîtier de freinage original. A quelques jours d’écart, l’appareil sera accéléré jusqu’à 140kt (250kmh). Le 9 juillet, il est en configuration « 25 juillet 2000 ». Ensuite, l’entretoise et les bagues de cisaillement sont retirées sur le boggie gauche. Le 15 juillet, un premier rouleur est effectué à basse vitesse. L’accélération-arrêt du 16 juillet est décisive. A la masse de 174 tonnes, le Fox Charlie atteint 250km/h avant un dernier freinage. Les experts judiciaires assistent au debriefing où les observations de l’équipage confirment les conclusions du BEA : aucune tendance à dériver n’est notée, l’avion roule droit, à petite comme à grande vitesse, aucune dissymétrie de température des roues n’est relevée au cockpit ou sur les pneus après arrêt de l’avion.
Dans son jugement du 6 décembre 2010, le TGI de Pontoise dira : « … il résulte tant des expertises, des essais effectués courant juillet 2003 (qui ont démontré que l’absence d’entretoise dans le boggie et même l’absence de bague associée côté roue n°2 n’avaient généré ni affaiblissement ni échauffement, ni dommage au pneu de la roue concernée, pas plus qu’aux pneus voisins), du rapport du BEA que des débats à l’audience que, s’il est incontestable qu’une faute a été commise dans le cadre de la maintenance de l’appareil Concorde F-BTSC lors du changement du boggie (remontage du nouveau boggie sans l’équiper préalablement de l’entretoise centrale restée à l’intérieur du boggie démonté), cependant l’absence de l’entretoise n’a pas contribué à l’accident du 25 juillet 2000 dès lors que cette absence n’a eu aucune incidence sur la trajectoire, l’échauffement des roues et, de façon plus générale, sur les performances de l’avion. »
PG
Le Fox Charlie en pleine décélération. ©AF DX.VO
Pour en savoir plus, les Flight Crew Reports de ces 3 rouleurs.