Par Alain Brodin
Concorde Contracts Director
Alain Brodin entre à Sud Aviation en 1967 au département des Négociations Internationales en tant que négociateur de contrats. Dans son livre « De Concorde à l’ATR 72 », il nous dit combien la signature du contrat d’achat de Concorde par Air France n’avait pas été chose aisée et que la situation avait été débloquée par la signature d’un précontrat avec la Chine. Nous sommes en 1972.
Pour Aérospatiale, la perspective de signer à brève échéance un contrat de vente, même préliminaire, avec la Chine est un évènement stratégique de choix car nous sommes à la peine depuis plus d’un an pour faire signer par Air France son contrat d’achat de 4 Concorde. Certes, les réunions de négociations techniques et commerciales se succèdent chaque semaine au Siège d’Air France dans le bureau d’un Directeur Général Adjoint ou à Orly à la Direction du Matériel mais sans beaucoup de progrès car si Air France sait que son actionnaire unique lui imposera d’acquérir quelques exemplaires de cet avion, ses équipes savent aussi remarquablement jouer la montre. Aucune date n’est prévisible pour une signature avec Air France et plusieurs sujets majeurs restent à régler.
Le contrat de vente à la Chine sera signé en grande pompe le lundi 24 juillet 1972 au matin, au Siège de l’Aérospatiale, Bd de Montmorency. Alain Brodin accompagne ensuite la délégation chinoise à Orly d’où elle s’envole pour Pékin en début d’après-midi.
De retour à Montmorency, le cœur palpitant des événements de la matinée, je suis convoqué au 7ème étage dans le bureau du PDG Henri Ziegler avec Bernard Darrieus (Directeur Commercial Aérospatiale). Après un bref satisfecit, « HZ » (qu’en interne on avait surnommé « Hôtel Zulu »), lui aussi tout enjoué et excité, nous apprend que le Président de la République Georges Pompidou l’avait appelé quelques minutes après que l’Elysée ait pris connaissance du communiqué de presse repris sur toutes les radios pour savoir si cette nouvelle était vraie et pourquoi Air France n’avait pas encore acheté Concorde alors que les Chinois l’avait fait. Un vrai délice pour HZ d’expliquer au Président Pompidou qu’Air France trainait un peu les pieds malgré des discussions en cours depuis des mois… Georges Pompidou intima alors à HZ de signer le contrat avec Air France avant la fin de la semaine qui avait débuté le 24 juillet et l’informa qu’il donnerait les instructions qui allaient bien dans ce sens à Georges Galichon, alors PDG d’Air France !!
C’est ainsi que nous passions les 4 jours suivants chez Air France pour « régler » au forcing les points contractuels en suspens et que le contrat d’achat de 4 Concorde par Air France fut signé le soir du vendredi 28 juillet 1972 au siège d’Air France à Montparnasse par Georges Galichon PDG d’Air France et Henri Ziegler PDG d’Aérospatiale, dans un cérémonial correct et dépouillé mais sans aucune chaleur car on sentait bien qu’Air France n’appréciait pas la précipitation enclenchée par l’affaire chinoise.
Signature du contrat d’achat par Air France. Alain Brodin, Georges Galichon et Henri Ziegler
Je me souviendrai toute ma vie, au Franc près, du prix unitaire qui était de 173 284 800 FF (soit environ 30 millions de dollars de l’époque) aux conditions économiques de 1972 donc révisable jusqu’à la livraison par application d’une formule indiciaire. Air France achètera 3 Concorde de plus quelques années plus tard, dans des conditions cette fois-ci très spéciales au niveau du prix (*) une fois le programme Concorde arrêté puisque 16 avions de série furent construits au total.
Ce même 28 juillet 1972, au matin, la BOAC (British Overseas Airways Corporation qui deviendra British Airways en 1974) signait l’achat de 5 exemplaires du Concorde. Cette concordance de date montrait la volonté des états de lancer les ventes.
Pour tous ceux qui travaillèrent sur Concorde, cette semaine du 24 au 28 juillet 1972 était donc celle de tous les espoirs car nous pensions que la mécanique de commercialisation allait pouvoir se déclencher avec les 14 autres compagnies aériennes ayant signé des options payantes (74 positions de livraisons réservées au total en incluant Air France et BOAC).
Extraits du livre « De Concorde à l’ATR 72 » par Alain Brodin
(*) On sait, malheureusement, que le 31 janvier 1973, tout juste 6 mois après la signature des Compagnies française et anglaise, Pan Am, TWA et American Airlines annonçaient à quelques minutes d’intervalle qu’elles renonçaient à leurs options Concorde, donnant ainsi le signal d’un abandon progressif de toutes les options enregistrées. C’est ainsi qu’il restait 5 appareils invendus qui furent cédés à Air France (3) et British Airways (2) pour un Franc (une Livre) symbolique.