Ce dossier propose un ensemble d’informations, synthèse de la tragédie du 25 juillet 2000, de son environnement et de ses conséquences. Il est construit chronologiquement depuis le 25 juillet 2000 jusqu’à la date du rendu de la cour d’appel de Versailles, sur la base de faits démontrés et de documents identifiés, cités dans le corps du développement. Pour une plus grande compréhension, quelques explications techniques nécessaires sont proposées. Elles sont le fait de professionnels de Concorde : pilotes, ingénieurs, mécaniciens de maintenance…
L’accident.
25 juillet 2000, une journée noire pour Concorde. Il est 16h42 en cette belle après-midi estivale lorsque le vol AF4590 s’élance depuis le seuil physique de la piste 26 droite de CDG. On est au beau milieu d’une plage de hub c’est à dire que de nombreux avions sont à l’atterrissage et au décollage. Après leur atterrissage sur la piste 26 gauche, la plus courte, les appareils doivent attendre avant d’être autorisés à traverser la 26 droite, la plus longue, où les décollages se succèdent. A intervalle régulier, la tour de Roissy interrompt les envols pour « vider » les 3 points d’attente ; tous les avions traversent alors, simultanément, la piste de décollage. Il y a aussi de l’attente aux différents points de décollage. A 16h42, ils sont nombreux à suivre du regard la mise en vitesse du F-BTSC ou Sierra Charlie. Certains, on le sait, l’annoncent à leurs passagers. « Vas-y Christian ! » entend-on sur la fréquence, message amical d’un collègue et ami auquel Christian Marty, le commandant du vol AF4590 répond par un double coup sur le poussoir radio ; un double claquement que l’on entend sur l’enregistreur de cockpit et qui équivaut à un clin d’œil entre pilotes.
Concorde part de très loin, puisqu’il a choisi, du fait de sa masse élevée, d’utiliser les 600 mètres de piste supplémentaires utilisables sur demande. Lorsqu’il passe à la hauteur des premiers avions en attente, il est déjà à V1, la vitesse de décision (270 km/h) à partir de laquelle, il doit poursuivre son décollage quoiqu’il arrive. Quelques secondes plus tard, à la jonction avec le taxiway W7, l’intrados gauche s’embrase. Les témoins sont pétrifiés. Le contrôleur de tour annonce : « Concorde … vous avez des flammes derrière vous ». Concorde débute lentement sa rotation. Sa trajectoire s’infléchit de quelques degrés vers la gauche. Visiblement l’appareil peine à prendre de l’altitude et survole le bord de piste à 30 mètres de hauteur et une vingtaine de mètres devant les avions en attente. Parmi ceux-ci, un Boeing 747-400 d’Air France, de retour d’Asie, avec le Président Chirac à son bord. On constatera ultérieurement qu’une balise de piste a été écrasée à l’instant du lift off.
Dans une salle de réunion du Siège Air France, le PDG de l’entreprise, Jean-Cyril Spinetta, voit le Sierra Charlie en feu passer devant les baies vitrées. L’avion blessé à mort traîne un panache de flammes plus long que lui. Le calvaire durera moins de 2 minutes. Au cockpit, on le saura plus tard, l’équipage se bat jusqu’au bout contre l’inexplicable. Le Sierra Charlie s’écrase sur un hôtel au lieu-dit de « La patte d’oie de Gonesse ». 113 personnes périssent dans l’accident : les 9 membres d’équipage, 99 passagers, en majorité allemands, un accompagnateur Air France ainsi que 4 jeunes employées de l’établissement hôtelier. « C’était un peu comme l’apocalypse. En quelques secondes, notre vie a complètement basculé » témoignera, un an après, Michèle Fricheteau la propriétaire de l’hôtel Hotelissimo. Dépêche Reuters 21 juillet 2001. Pour en savoir plus sur le déroulé de l’accident, voir « Considérations techniques sur l’accident du vol AF4590 »
Dès l’annonce de l’accident, la Gendarmerie des Transports Aériens est engagée. Il s’agit de quadriller et cartographier le site pour savoir précisément où chaque corps, chaque objet, sont retrouvés, ici et tout le long de la trajectoire du vol AF4590. Les 113 victimes seront identifiées et rendues à leur famille moins d’une semaine après l’accident. Tous les débris seront rapatriés dans un hangar de Dugny. Article Valeurs Actuelles. Les « boîtes noires » seront récupérées et dépouillées par le BEA (Bureau Enquêtes Analyses) à qui est confiée l’enquête technique sous la responsabilité d’Alain Bouillard. Selon la nouvelle organisation des enquêtes en France en date du 29 mars 1999, la commission d’enquête ministérielle qui sera créée le 26 juillet (Commission Monnier) n’a plus le rôle “d’enquêteur en charge” mais vient assister le BEA dans ses travaux.
25 juillet 2000. A 17h44 locale soit une heure exactement après l’accident, le Concorde F-BVFB qui assure le vol régulier en provenance de New York, atterrit à CDG.
25 juillet 2000. Dans la soirée, à la Direction d’Air France les avis sont partagés concernant la poursuite ou non des vols Concorde. Le ministre français des transports, Jean-Claude Gayssot, mettra tout le monde d’accord en demandant la suspension des vols des Concorde d’Air France dans l’attente du dépouillement des boîtes noires, tout en précisant que la « perspective normale » est la « reprise des vols ». Sans connaître précisément les motifs qui ont guidé sa décision, l’analyse de l’accident lui donnera raison quelques semaines plus tard.
26 juillet 2000. British Airways décide de poursuivre l’exploitation de ses Concorde.
26 juillet 2000. Communiqué de presse du Procureur de la République de Pontoise ouvrant une information judiciaire pour homicides et blessures involontaires. L’enquête judiciaire est confiée à la Brigade de Gendarmerie des Transports Aériens sous l’autorité de 3 magistrats instructeurs : Mme Tasmadjian et MM Berges (juge d’instruction) et Fournier. 3 experts sont également nommés : MM Jean Belotti, ancien CDB B747 Air France, Jacques Chauvin ancien CDB Concorde Air France et Claude Guibert.
26 juillet 2000. Création de la commission d’enquête ministérielle (Commission Monnier). Elle doit enquêter et remettre un rapport au ministre des Transports. Elle est placée sous la présidence de M. Alain Monnier, chef de l’inspection générale de l’aviation civile et de la météorologie. Liste des commissaires
26 juillet 2000. Air France crée une commission d’investigation interne placée sous la présidence de Jean Giraud (responsable qualité maintenance). Cette commission est chargée d’étudier l’accident du vol AF4590, d’en analyser les causes et de dégager des conclusions.
28 juillet 2000. Conformément à la mission que lui confie le Code du Travail, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du Personnel Navigant Air France crée une commission d’enquête CHSCT-PN sur l’accident du Concorde.
Des précisions sur les différentes commissions d’enquête sur “Les commissions d’enquête sur l’accident du vol AF4590“.
30 juillet 2000. La DGAC confirme la suspension des vols Concorde d’Air France. British Airways confirme le maintien de ses vols.
3 août 2000. Création de la Cellule 95, constituée d’officiers de police judiciaire et de spécialistes aéronautiques appartenant à la gendarmerie. Dirigée par le capitaine Xavier Mulot, elle est directement placée sous l’autorité des magistrats en charge de l’enquête judiciaire. 250 hommes sont mobilisés au début de l’enquête. Article Valeurs Actuelles “Concorde l’exploit des gendarmes”
4 août 2000. Le BEA annonce avoir trouvé sur la piste, parmi les débris, « une lamelle métallique d’environ quarante centimètres de long n’appartenant pas à Concorde » qui pourrait être à l’origine de l’accident.
11 août 2000. Jean-Claude Gayssot, ministre des transports, décide du maintien de la suspension des vols Concorde Air France.
15 août 2000. British Airways suspend ses vols Concorde à la veille de l’annonce officielle par la DGAC et la CAA (Civil Aviation Authority) du retrait du Certificat de Navigabilité Concorde.
16 août 2000. Le BEA et son homologue anglais l’AAIB (Air Accidents Investigation Branch), émettent conjointement une recommandation de sécurité visant à suspendre les certificats de navigabilité de Concorde. Les enquêteurs français et britanniques ont déterminé que la destruction du pneu avant droit du boggie gauche est à l’origine, directe ou indirecte, des dégâts qui ont conduit à l’écrasement de l’appareil. La destruction d’un pneu pendant les phases de roulage, décollage ou atterrissage n’est pas un évènement improbable, particulièrement sur Concorde. Les principes généraux de « l’analyse de sécurité » stipulent qu’il ne peut y avoir de conséquences catastrophiques à une panne simple. En conséquence, les hypothèses de certification n’étant plus remplies, les enquêteurs recommandent que : « les certificats de navigabilité des Concorde soient suspendus en attendant qu’aient été mises en place des mesures appropriées garantissant un niveau de sécurité satisfaisant en ce qui concerne le risque lié aux destructions de pneumatiques » (Communiqué BEA)
16 août 2000. La DGAC et la CAA annoncent la suspension des Certificats de Navigabilité (CDN) Concorde. Note DGAC du 16 août 2000.
17 août 2000. Paris et Londres décident de créer un groupe de travail intergouvernemental réunissant les Constructeurs (EADS, BAE), les Compagnies (AF, BA) et les organismes d’enquête technique des 2 pays (BEA, AAIB) sous l’autorité conjointe de la DGAC et de la CAA. La première réunion se tiendra le 7 septembre. C’est dans cette instance que se décidera une éventuelle remise en vol de la flotte Concorde.
31 août 2000. Le BEA publie un rapport préliminaire qui confirme qu’une pièce métallique provenant d’un DC10 est à l’origine de l’éclatement d’un pneu du train d’atterrissage ayant entraîné la rupture de la paroi d’un réservoir.
4 septembre 2000. Le BEA identifie la lamelle métallique comme appartenant à un DC10 de Continental Airlines ayant décollé quatre minutes avant le vol AF4590.
7 septembre 2000. Première réunion du groupe de travail intergouvernemental.
21 septembre 2000. Rapatriement du F-BVFC ou Fox Charlie, le Concorde d’AF qui était à New York Kennedy depuis l’arrêt des vols prononcé le 26 juillet. Le 18 septembre, la DGAC avait délivré un laisser-passer permettant le vol retour décommercialisé.
15 décembre 2000. Pour éviter les fuites massives de carburant en cas de rupture de paroi, les constructeurs proposent d’en couvrir l’intérieur d’une garniture de matériau souple (“liner”) de type kevlar. Le principe de tests, y compris en vol, est arrêté.
18 janvier 2001. Le F-BVFB ou Fox Bravo est convoyé vers Istres pour effectuer une campagne d’essais sous l’égide d’EADS. L’objectif de ces essais consiste, lors de roulages à grande vitesse (jusqu’à 180kt), à simuler une fuite de liquide en amont des entrées d’air et à en étudier le comportement en visualisant l’écoulement et mesurant les quantités absorbées. Le Fox Bravo remontera sur Paris le 3 février. “Essais de Concorde avant sa remise en exploitation“. (Icare N°164/165 “Concorde et son histoire).
22 janvier 2001. Les travaux des enquêteurs et des constructeurs rendent crédibles l’hypothèse d’une restauration de la navigabilité Concorde. La Direction Générale d’Air France décide donc de se préparer à la remise en ligne de sa flotte supersonique et lance une mission de coordination interne placée sous la direction d’Auguste Gayte. Flash actu N°490 2 février 2001. Elle coordonne les travaux des groupes de travail Opérations Aériennes et Maintenance.
9 février 2001. Réunion intergouvernementale à Londres.
30 mars 2001. Le groupe de travail intergouvernemental, réuni à Londres, fait le point sur les travaux engagés par Michelin pour développer un pneu de nouvelle technologie. Les premiers résultats du pneu NZG sont encourageants d’autant plus que cette amélioration n’était pas attendue pour tout de suite. Des tests de certification sont prévus à Istres pour le mois d’avril. Communiqué DGAC du 30 mars 2001
17 avril 2001. Le F-BTSD est convoyé vers Istres pour une campagne d’essais visant à certifier le pneu Michelin NZG, nouveau pneu radial plus résistant aux dommages causés par des corps étrangers et présentant moins de risque d’éclatement. “Essais de Concorde avant sa remise en exploitation“. (Icare N°164/164 “Concorde et son histoire).
1er juin 2001. Sondage SOFRES effectué pour le Ministère des Transports sur « L’opinion des Français sur la gestion de la crise du Concorde et la reprise des vols ».
Quelques résultats marquants, pour ne pas dire étonnants :
– 95% des Français sont favorables à la reprise des vols. 4% sont contre et seulement 1% ne se prononce pas. Ces pourcentages sont identiques dans toutes les tranches d’âges et de catégories socioprofessionnelles.
– 68% des Français se déclarent assez ou très attachés à Concorde. 31% peu ou pas du tout et 1% ne se prononce pas. Ce taux de réponse est identique dans toutes les tranches d’âge mis à part les jeunes entre 18 à 24 ans pour lequel le résultat diffère : 53% se déclarent peu ou pas du tout attachés à Concorde.
– A la proposition : « Le Concorde est un avion très en avance du point de vue technologique, il serait dommage pour la France de l’abandonner maintenant ». 84% des sondés partagent ce point de vue avec là aussi un résultat égal quelques soient l’âge ou le milieu socio-professionnel.
– A la proposition : « Concorde est trop vieux pour être maintenu de façon permanente aux normes de sécurité », 61% de Français interrogés (on est en juin 2001 !) ne partagent pas ou pas du tout cette affirmation !
– Pour terminer, 84% des Français se prononcent pour la création d’un nouveau modèle d’avion supersonique.
7 juillet 2001. L’accord d’indemnisation avec 92% des ayants droit des passagers du vol AF4590 est finalisé. Il porte sur un montant total d’environ 120 millions de dollars soit entre cent mille et un million de dollars par ayant droit suivant son degré de parenté avec la victime. L’acceptation des indemnités entraîne l’abandon des poursuites. Dépêche Reuters 21 juillet.
8 juillet 2001. Jean-Claude Gayssot estime que le certificat de navigabilité pourra être rétabli à l’automne.
10 juillet 2001. Publication d’un rapport intermédiaire du BEA. Communiqué de presse BEA
17 juillet 2001. Vol d’essai d’un Concorde britannique entièrement modifié. Le G-BOAF décolle de Londres Heathrow et atterrit sur la base militaire de Brize Norton après un vol supersonique sur l’Atlantique d’une durée équivalente à celle d’un vol transatlantique vers New York. Ce premier vol a pour but de recréer les conditions d’une liaison transatlantique commerciale de type Londres (ou Paris) – New York. Il s’agit d’un vol d’essai, le G-BOAF étant le premier Concorde ayant subi les modifications demandées par les constructeurs et les Autorités préalablement à la remise en vol. Le 20 juillet, le vol retour est entrepris dans les mêmes conditions et le G-BOAF retourne à Heathrow après un vol de 3 heures et 20 minutes. Dépêches AFP : Vol d’essai G-BOAF retour Brize Norton vers LHR – Fin d’un deuxième vol d’essai long distance du G-BOAF retour de Brize Norton vers LHR
23 juillet 2001. Réunion intergouvernementale à Londres. Ce jour-là, on note un tournant dans l’attitude des Autorités qui, jusqu’alors se montraient prudentes quant à la date de délivrance des CDN. Les constructeurs sont déterminés. British Airways est confiante et envisage de débuter les vols le 24 septembre avec 3 avions, voire même avec seulement 2 avions le 11 septembre (!!). Air France quant à elle envisage la reprise de l’exploitation Concorde avec 3 avions, fin octobre. Compte-rendu réunion intergouvernementale
23 juillet 2001. A l’approche du 1er anniversaire de la catastrophe, le Procureur de la République de Pontoise publie un communiqué de presse faisant le point sur l’enquête judiciaire. Il écarte toute hypothèse d’acte de malveillance et confirme que la lamelle trouvée aux abords de la piste de décollage du Concorde provient du DC10 N13067 de Continental Airlines qui a décollé de CDG quelques minutes avant le vol AF4590. Sous réserve d’une expertise complémentaire en cours, il y a corrélation entre la lamelle et la déchirure du pneu N°2. Il précise qu’un morceau de l’intrados du réservoir N°5 a été retrouvé sur le bord de piste et que la paroi a été déchirée par suite d’une poussée de l’intérieur vers l’extérieur du réservoir. Il ajoute qu’un débris de réservoir N°5, trouvé sur le site de l’écrasement, montre une perforation de 1 sur 4 centimètres résultant d’un impact venant de l’extérieur du réservoir. Il confirme qu’une entretoise était manquante sur le boogie du train principal gauche et que les investigations montrent que l’absence de cette entretoise n’a pas été à l’origine des perturbations de trajectoire de l’aéronef ni de la destruction du pneumatique N°2. Le juge d’instruction M. Berges annonce qu’il rencontrera, hors de la présence de la presse, les familles des victimes le 26 juillet au matin pour les tenir informées du développement de l’information judiciaire. Dépêche AFP “L’info judiciaire corrobore le rapport du BEA”
25 juillet 2001. Un an après le crash de Concorde, une journée de commémoration est organisée par Air France le mercredi 25 juillet 2001 pour marquer le premier anniversaire de la catastrophe. Une célébration œcuménique a lieu à 18h30 en l’église Saint-Sulpice à Paris. Ensuite le Requiem de Mozart est donné par l’Orchestre Colonne et le Chœur d’Air France. Des stèles sont inaugurées à l’aéroport de Roissy et au Siège d’Air France. Quelques 200 proches des victimes, venus essentiellement d’Allemagne, assistent à ces cérémonies. Dépêche AFP “Un an après le crash du Concorde”
25 juillet 2001. Dépôt de plainte aux Etats-Unis des familles de 5 membres d’équipages contre Continental et Goodyear. Il s’agit des ayants-droits de 4 PNC et du copilote qui ont été indemnisés par les assurances des navigants et n’ont pas été concernés par l’accord d’indemnisation des passagers du vol AF4590. Dépêche Reuters “Concorde – plainte aux USA contre Continental et Goodyear”.
4 septembre 2001. La mission de coordination interne Air France pour la remise en ligne de Concorde (commission Auguste Gayte) rend son rapport final le 4 septembre 2001.
5 septembre 2001. La DGAC donne le feu vert pour la reprise des vols Concorde en publiant la Consigne de Navigabilité permettant de restaurer le certificat de navigabilité de la flotte supersonique. Le même jour Air France l’annonce à ses anciens clients Concorde.
11 septembre 2001. Les attentats des tours jumelles du World Trade Center de New York vont entraîner la fermeture de l’espace aérien américain et déclencher une crise économique majeure ; deux événements qui vont retarder le retour des vols supersoniques vers Kennedy.
7 novembre 2001. Air France et British Airways reprennent les vols Concorde vers New York. AF en 5/7 (pas de vols les dimanche et mardi), avec une offre réduite à 92 sièges. Avant l’accident, l’offre était à 100 sièges en 7/7. Quant à BA elle reprend en 6/7. Avant le départ de Paris du vol AF002, le cabinet de la présidence diffuse une déclaration du Président Spinetta évoquant la difficile reprise des vols ainsi que le tragique contexte américain, 2 mois après les attentats du 11 septembre.
26 novembre 2001. Après 3 semaines d’exploitation AF décide de maintenir l’exploitation JFK en 5/7
17 décembre 2001. A la suite d’une réunion AF/BA où l’arrêt d’exploitation est évoqué, il n’y a plus que 2 scénarios envisagés : arrêt en 2003 ou fin 2007.
15 janvier 2002. Publication du rapport définitif du Bureau Enquête et Analyses. Il exprime les conclusions du BEA sur les circonstances et les causes de cet accident. Il est accompagné d’annexes : annexe 1 plan 3 vues – annexe 2 transcription de l’enregistreur phonique – annexe 3 analyse des alarmes et des bruits enregistrés – annexe 4 graphes des paramètres enregistrés – annexe 5 évènements pneus antérieurs – annexe 6 analyse combustion sur aile gauche – annexe 7 rapport d’essais d’incendie N°1 – annexe 8 analyse de scénario de rupture en mode 2 – annexe 9 rapport d’essais d’incendie N°2 – annexe 10 arbre des causes rotation anticipée – annexe 11 prévention des risques liés aux débris à l’étranger – annexe 12 trajectoires et débris.
La page “Quelques considérations techniques sur l’accident du vol AF4590“ permet de mieux appréhender la lecture du rapport BEA.
6 mai 2002. Des décisions lourdes doivent être prises en fonction de la date prévisionnelle de fin d’exploitation de Concorde. Certaines évolutions réglementaires nécessitent effectivement le développement et la mise en place de nouveaux équipements :
– EGPWS Enhanced Ground Proximity Warning, un système amélioré d’évitement du sol qui nécessite un écran de visualisation. Ce système devient obligatoire à compter du 31 décembre 2004. Un équipement difficile à installer sur Concorde vu l’étroitesse de la planche de bord et le manque de place dans les soutes avioniques.
– Détection incendie dans les soutes. Comme tous les avions de sa génération, Concorde n’est pas équipé de détecteurs incendie dans les soutes.
– Equipement pour insertion dans le domaine RNAV. Concorde navigue avec des centrales à inertie dont la précision se dégrade avec le temps de vol. La navigation RNAV étant basée sur les signaux GPS, sa précision est constante et permet de réduire les espacements entre avions lors des traversées océaniques ou désertiques.
– Inspection des toits de fuselage. Depuis de nombreuses années, la mauvaise planimétrie des pistes menace l’intégrité de la structure de Concorde. Cela fait l’objet d’un suivi précis mais il faut programmer des visites de maintenance pour suivre l’état des parties hautes du fuselage.
Ces décisions ne sont pas que du ressort des Compagnies, elles nécessitent de savoir si les constructeurs et équipementiers ont la volonté (et la capacité) à conduire les études nécessaires.
Renforcement des portes cockpit. Suite aux attentats du 11 septembre, cette mesure de sûreté est incontournable.
Mai 2002. British Airways annonce qu’elle arrête définitivement son 7ème appareil.
19 février 2003. Déroutement du vol AF002 sur Halifax. En route vers New-York Kennedy, le mécanicien note une élévation anormale de la température carburant en amont des injecteurs. Cela va contraindre l’équipage à couper le moteur n°3 puis à dérouter sur Halifax par suite d’une fuite importante de carburant. Le F- BTSD ou Sierra Delta perdra plus de 8 tonnes de kérosène au cours du déroutement. Cet incident préoccupant a certainement joué un rôle dans la décision d’arrêt des vols Concorde qui allait survenir quelques mois plus tard. Revue Mach 2.02 N°53 “Coup de chaud sur l’Atlantique” par Daniel Vasseur.
10 avril 2003. Air France et British Airways annoncent l’arrêt définitif des vols Concorde au 1er novembre. Revue Mach 2.02 n°26 “La nouvelle tombe !”. Comme Air France, British Airways indique que cette décision est prise pour des raisons commerciales, le nombre de passagers reculant fortement alors que les coûts de maintenance augmentent. Air France décide de ne pas attendre et d’arrêter son exploitation supersonique le 31 mai.
23 mai 2003. Pour les besoins de l’enquête judiciaire, 8 jours avant la fin des vols Concorde Air France, une reconstitution a lieu à CDG. Elle a pour objectif de replacer certains témoins dans les conditions du 25 juillet. Le Concorde AF002 décolle en piste 26D alors que des avions sont positionnés aux emplacements qu’ils occupaient le jour de l’accident. Dans le cockpit de chacun d’eux, B747, B737, BAE144, Saab, A340 (qui remplace le B767 indisponible) les pilotes ayant observé le départ de feu le jour de l’accident sont à leur poste et témoignent à nouveau. Tous ces témoignages seront étudiés attentivement lors des procès qui vont suivre.
31 mai 2003. Derniers vols commerciaux Air France. Dernière liaison supersonique régulière entre Kennedy et CDG, le vol AF001, arrive au bloc à 16h18. Moins d’une heure après, à 17h12, c’est au tour du Fox Bravo de retour du dernier vol commercial Concorde Air France. Il s’agit d’une boucle organisée par Air Loisirs Services. Infos lesvolsdeconcorde.com. Revue Mach 2.02 N°26 “Vol AF4332 dernier vol commercial” par Jean-Louis Chatelain
12 juin 2003. Le F-BVFA ou Fox Alpha est livré au National Air and Space Museum Smithsonian de Washington Dulles. Revue Mach 2.02 N°26 AF4386 dernier vol du Concorde F-BVFA sur Washington par Marylène Vanier
14 juin 2003. Le F-BTSD ou Sierra Delta est livré au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Revue Mach 2.02 N°26 “AF4404 vers le Bourget” par Claude Delorme
24 juin 2003. Le F-BVFB ou Fox Bravo effectue son dernier vol vers Baden-Baden avant d’être convoyé par la route et le Rhin (le transport du FB de Baden-Baden vers Sinsheim) pour être exposé au Musée de Sinsheim. Revue Mach 2.02 N°26 “Vol AF4406 vers Baden Baden” par Philippe Girard – Revue Mach 2.02 N°29 “Le dernier vol du FB vers Baden Baden” par Jean-Louis Chatelain – Revue Mach 2.02 N°47 “La dernière croisière du Fox Bravo” par Pascal Ménégat et Yannick Tarantola
27 juin 2003. Le F-BVFC ou Fox Charlie retourne vers Toulouse qui l’a vu naître pour intégrer les collections d’Aeroscopia. Revue Mach 2.02 N°26 “AF6903 vers Toulouse” par Gilbert Barbaroux
9, 15 & 16 juillet 2003. Essais d’accélérations-arrêts à Toulouse avec le Fox Charlie. Peu de gens savent que le 27 juin, après les flonflons qui ont accueilli le retour du fils prodigue à Blagnac et tandis que tout le monde retourne à ses occupations, les gendarmes posent des scellés sur le Fox Charlie. En effet, la justice française souhaite tirer au clair cette histoire « d’entretoise » avant que le dernier Concorde d’Air France ne se taise à jamais et cela même si le BEA a déjà démontré que, le 25 juillet 2000, l’absence d’entretoise n’avait eu aucun effet sur l’accélération ni sur la dirigeabilité de l’appareil. EADS est requis pour effectuer des essais grandeur nature.
Les équipes de maintenance d’Air France sont donc chargées de maintenir le Fox Charlie en état de vol, le temps nécessaire pour réaliser ces essais. Elles le rééquipent en pneumatiques Goodyear et réinstallent le boîtier de freinage original. A quelques jours d’écart, l’appareil dont la masse est portée à 174 tonnes sera accéléré jusqu’à 140kt (250kmh). Aucune différence n’est notée dans les comportements de l’avion avec entretoise, le 9 juillet 2003, et sans entretoise ni bague de cisaillement, les 15 et 16 juillet. Aucune tendance à dériver n’est notée, l’avion roule droit, aucune dissymétrie de température n’est relevée au cockpit ou après arrêt de l’avion.
Dans son jugement, le TGI de Pontoise dira : « … il résulte tant des expertises, des essais effectués courant juillet 2003 (qui ont démontré que l’absence d’entretoise dans le boggie et même l’absence de bague associée côté roue n°2 n’avaient généré ni affaiblissement ni échauffement, ni dommage au pneu de la roue concernée, pas plus qu’aux pneus voisins), du rapport du BEA que des débats à l’audience que, s’il est incontestable qu’une faute a été commise dans le cadre de la maintenance de l’appareil Concorde F-BTSC lors du changement du boggie (remontage du nouveau boggie sans l’équiper préalablement de l’entretoise centrale restée à l’intérieur du boggie démonté), cependant l’absence de l’entretoise n’a pas contribué à l’accident du 25 juillet 2000 dès lors que cette absence n’a eu aucune incidence sur la trajectoire, l’échauffement des roues et, de façon plus générale, sur les performances de l’avion. »
15 novembre 2003. Vente aux enchères chez Christie’s, de souvenirs Concorde au profit de la Fondation Air France.
26 novembre 2003. Dernier vol d’un Concorde. Le G-BOAF revient à Filton. G-BOAF survole le Clifton bridge – Le dernier atterrissage d’un Concorde
1er juillet 2008. Publication de l’Ordonnance de Renvoi devant le Tribunal Correctionnel. ORTC document intégral. Sylvaine Reis, vice-président chargé de l’instruction, ordonne le renvoi de John Taylor, Stanley Ford, la Société Continental Airlines, Henri Perrier, Jacques Hérubel & Claude Frantzen d’autre part, devant le tribunal correctionnel de Pontoise. La société Continental Airlines, est civilement responsable de John Taylor et de Stanley Ford. EADS est civilement responsable d’Henri Perrier et de Jacques Hérubel.
2 février 2010. Ouverture de l’audience du Tribunal de Grande Instance de Pontoise, appelé à juger l’accident du 25 juillet 2000. Le procès durera jusqu’au 28 mai 2010.
6 décembre 2010. Le TGI de Pontoise rend son jugement.
Lien vers la page jugement TGI Pontoise – Résumé en français et en anglais du jugement du TGI Pontoise
Sur l’action publique (pénale) :
– Relaxe MM Henri Perrier, Jacques Hérubel, Claude Frantzen et Stanley Ford.
– Condamne M. John Taylor à 15 mois d’emprisonnement avec sursis et une amende contraventionnelle de 2 mille euros et La société Continental Airlines à une amende délictuelle de 200 mille euros et une amende contraventionnelle de 2 mille euros.
Sur l’action civile
– Déclare la société Continental Airlines et M. John Taylor tenus solidairement de réparer les conséquences dommageables de l’accident survenu le 25 juillet à Gonesse.
– Dit que la société EADS est tenue, en sa qualité de civilement responsable de MM. Henri Perrier et Jacques Hérubel, d’indemniser les préjudices consécutifs à la perte d’une chance dans les conditions et proportions précisées ci-dessous.
– Attribue différentes sommes aux différentes parties civiles. Jugement TGI Pontoise pages 292 à 295
13 décembre 2010. John Taylor et Continental Airlines font appel des dispositions pénales et civiles qui les concernent. Le même jour, le Procureur de la République fait lui aussi appel contre les dispositions du jugement rendu à l’encontre de John Taylor et de Continental Airlines. Dans les jours qui suivent toutes les parties font appel.
8 mars 2012. Cour d’appel de Versailles, ouverture du procès en appel. Il se déroulera jusqu’au 18 juin de la même année. Henri Perrier, malade, est absent. Il décèdera le 6 mai. L’action publique (pénale) à son encontre prend fin.
29 novembre 2012. L’arrêt de la Cour d’appel est prononcé. Arrêt de la Cour d’Appel de Versailles.
– Sur le plan civil, comme en première instance, elle condamne la société Continental Airlines à indemniser les parties civiles (Prononcé des peines pages 325 à 332 de l’arrêt).
– Sur le plan pénal, elle prononce une relaxe générale. John Taylor, qui avait été condamné par le Tribunal de Pontoise, est relaxé pénalement au motif qu’il ne pouvait « … anticiper ce scénario qu’une simple lamelle de titane pouvait entraîner sur un avion [Concorde] dont rien ne démontre qu’il en connaissait les spécificités techniques et évènementielles, une catastrophe telle que celle du 25 juillet 2000. ».
En revanche, si la Cour relaxe au pénal les prévenus Hérubel et Frantzen elle se montre très critique envers les entités en charge du suivi de navigabilité (Constructeurs, Compagnies aériennes et Autorités). Cela fait l’objet d’observations générales lues en séance par la Présidente Mme Luga le 29 novembre 2012 :
« Au terme du travail d’analyse et de synthèse effectué, la Cour souhaite faire les observations générales suivantes :
S’il n’est pas contestable que le chaudronnier et le mécanicien américains ont commis des fautes aux termes des motifs adoptés par la Cour, celle-ci estime qu’il ne saurait toutefois être considéré que la perte du wear strip sur la piste de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle est le seul phénomène majeur qui doive retenir l’attention dans un tel dossier.
La Cour rappellera que les enquêteurs ont retrouvé de nombreux objets d’équipement d’avions sur les bas-côtés de la piste 26 D.
La Cour considère que si les FOD sur les pistes d’aéroports ont été dénoncés dès les années 1980, ils ont constitué pour l’aéronef Concorde une menace particulière constante et connue des acteurs de la navigabilité, au travers de 25 années d’exploitation émaillées de nombreuses blessures aux pneumatiques suivies de conséquences plus ou moins graves.
Elle considère inacceptable que cet aéronef ait pu conserver son certificat de navigabilité sans que les mesures qui s’imposaient ne fussent prises tant au niveau du changement des pneumatiques que de la protection de ses réservoirs les plus exposés.
La Cour considère que des facteurs liés à la dualité des autorités administratives et des constructeurs, la mauvaise qualité de l’organisation française relative à la certification et au suivi de navigabilité, les rapports de force tant en interne au niveau français qu’entre les deux pays au niveau politique, ainsi que les préoccupations économiques et financières récurrentes ont participé à un suivi de navigabilité qui n’a pas été à la hauteur de l’exceptionnelle technologie qui a permis la réalisation du projet Concorde.
La Cour considère enfin que cet aéronef a été vécu comme une sorte de boulet, sur un plan purement économique, mais aussi en fonction de ses exigences techniques très élevées qui sont apparues au fil du temps en exploitation, et devant lesquelles les uns et les autres, bien que conservant chacun leur pouvoir et leur liberté d’initiative et d’action, semblent s’être confortés dans une acceptation résignée d’une situation à laquelle il était nécessaire de remédier ou à laquelle il fallait mettre un terme. »
Ce jugement éclairé devrait faire cesser les polémiques en énonçant très clairement que l’accident du 25 juillet n’est pas de la responsabilité de quelques hommes, un chaudronnier texan ou un directeur des essais en vol aussi renommé soit-il, mais celle du système qui, depuis les débuts de l’exploitation en 1976, n’a pas su, n’a pas voulu ou n’a pas osé prendre les décisions permettant à Concorde d’être au niveau de sécurité actualisé et exigé dans l’aviation de ligne quitte, en cas d’impossibilité à maintenir ce niveau, à arrêter l’exploitation de l’avion.