Ravitaillement de Concorde par Boeing C135

Par Pierre Grange


Lorsque Concorde se déplaçait, on le sait, il fallait acheminer son matériel d’assistance car, dépourvu d’APU, il n’était pas autonome. Le transport de groupes électrique et pneumatique était donc un des grands défis des vols spéciaux et en particulier des « tours du monde » avec quelques escales épiques comme l’Ile de Pâques. Un vrai casse-tête logistique ! En revanche, côté carburant, Concorde ne posait pas de problème puisqu’il consommait sans modération les produits utilisés par les avions de ligne classique : JET A ou JET A1 (TR0 selon la nomenclature militaire). En fait il y eut quelques destinations de vols présidentiels pour lesquels aucun kérosène n’était adapté au « char de l’état ». Sollicitée, l’Armée de l’air sut relever le défi. Grâce à ses Boeing C135 ravitailleurs en vol elle sut, une nouvelle fois, « faire face ».

La première et la plus surprenante fut la mission « Lajes ». Le 12 décembre 1971, le président Georges Pompidou se rend à bord du prototype Concorde 001 aux Açores, pour rencontrer le président américain Richard Nixon. Le terrain de Lajes est une base américaine et ne dispose que de carburant JP4 inadapté aux avions civils. On peut penser qu’Aérospatiale découvrit tardivement cette fâcheuse particularité puisque l’ordre de mission des C135 ne fut signé qu’à la veille de l’opération. Malgré le court délai, ce fut une réussite et les intervenants reçurent a posteriori les félicitations présidentielles.

La mission « Lajes » s’est déroulée du 12 au 14 décembre 1971. Pour cette rencontre au sommet, Nixon Pompidou, le dispositif est important :

– Côté français : un Concorde présidentiel, une Caravelle gouvernementale pour les officiels et journalistes accrédités, une Caravelle Sud-Aviation pour les techniciens Concorde et deux C135F pour le carburant (TR0) destiné au Concorde.
– Côté américain : seulement le Boeing 707 Air Force One pour le président Nixon et son staff car les Américains sont chez eux, Lajes est une base de l’US Air Force.

Les C135F sont des Boeing ravitailleurs des FAS (Forces Aériennes Stratégiques). L’un appartient à l’ERV 4/94 d’Avord, l’autre à l’ERV 4/91 de Mont de Marsan. Chaque avion emmène avec lui une équipe restreinte de mécaniciens de mise en œuvre. (ERV Escadron de Ravitaillement en Vol)

Le Concorde est le prototype N°001. Au départ de Paris, il peut rallier les Açores en moins de 2 heures. A Mach2 il a encore besoin des postcombustions une grande partie de la croisière. Un espace présidentiel a été aménagé au milieu de la cabine entre les armoires contenant l’installation d’essais.

12 décembre 1971 à 16h37, Concorde 001 passe devant les terrasses d’Orly.
Info lesvolsdeconcorde.com

Le 001 décolle d’Orly à 16h41 locales. Après 1h47 de vol, il atterrit à Lajes dans des conditions difficiles (voir « Le Tueur » de Jean Pinet). Les 8 roues du train principal devront être remplacées.

Le jour du départ, une grande première : effectuer le plein carburant du 001 avec du TR0 contenu dans les C135F. L’opération est tout à fait artisanale et réussit grâce à la bonne volonté de tous les acteurs. Il n’y a aucune connexion possible entre les deux avions, il est donc impossible de faire un transfert direct. Il est décidé d’utiliser comme intermédiaire un camion-citerne de l’armée américaine qui fera la navette entre les deux appareils. Le plein de la citerne se fait par gravité. Dans le Boeing, une seule pompe de ravitaillement est en fonctionnement et alimente la perche de queue. Le tuyau est maintenu par un soldat américain en équilibre sur la citerne. Il détourne sa tête de l’orifice afin d’inhaler le moins possible les vapeurs du carburant tombant en cascade à gros débit ! Lorsque la citerne est remplie, le camion se déplace et le transfert dans les réservoirs du Concorde se fait sous pression d’une manière tout à fait conventionnelle. Il n’y a plus qu’à recommencer jusqu’à atteindre les 59 tonnes souhaitées qui permettront le vol présidentiel retour vers Orly.

Quelques années plus tard, Concorde fait de nouveau appel aux escadrilles de ravitaillement en vol à l’occasion d’un vol présidentiel vers Tachkent en Ouzbékistan. Nous sommes en avril 1994. Pour la petite histoire, la demande arrive de l’Elysée le 1er avril, risquant ainsi de la rendre peu crédible ; cependant, cette fois-là une répétition est prévue à Roissy. Un équipage et des techniciens Air France sont présents et le transfert au sol du pétrole est concluant.  Nota : l’Apcos est à la recherche d’informations concernant la procédure utilisée en 94 pour transférer le carburant directement du ravitailleur au Concorde.

Charles de Gaulle, 12 avril 1994, essais de transfert de carburant d’un C135 vers le F-BVFF.
Photos Jean-Claude Boudinot

Le 25 avril, trois C135FR, en provenance d’Istres se posent, au petit matin, à Tachkent en Ouzbékistan avec, chacun, 20 000 livres disponibles pour avitailler au sol le Concorde, la qualité du pétrole ouzbek n’étant pas compatible avec les moteurs Olympus. Comme à l’habitude, le président François Mitterrand, en visite officielle, préfère voyager en Concorde. Ses ministres, qui ne sont pas ses amis politiques (c’est un temps de cohabitation), Nicolas Sarkozy ministre du Budget, Alain Lamassoure secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, volent en Falcon (chacun le sien), les journalistes remplissent tout un Airbus. L’avitaillement de 60 000 livres du Concorde se fait directement à partir des réservoirs du C135FR. Une nouvelle fois le plein au sol par un ravitailleur en vol est une réussite.

PG

Si vous voulez connaître un peu mieux l’histoire des Boeing C-135F et FR, cet avion que tous ceux de la « mécanique » appelaient affectueusement « La Péniche », allez sur le site de l’amicale des Escadrons de Ravitaillement en Vol : http://ervc135-amicale.fr/