1er vol transatlantique du prototype Concorde 001.
Par Philippe Borentin
Dans « 1971, une année audacieuse » Henri Perrier a parlé de l’audace des décideurs du programme Concorde, au premier rang desquels il plaçait Henri Ziegler. Alors que le prototype 001 n’était que le démonstrateur d’un hypothétique futur avion de ligne supersonique, ils n’ont pas hésité à le lancer dans une tournée de promotion en Amérique du Sud. Premier passage de la ligne et intégration dans le trafic aérien des grandes métropoles sud-américaines comme Rio, Sao Paulo et Buenos Aires … une audace qui sera couronnée de succès comme le montre Philippe Borentin.
Le 16 août 1971, la Direction des Essais en Vol, dans sa note DEV n°2461/71, publie le projet définitif du premier voyage transatlantique du Concorde 001. Cette « Tournée AMSUD 1971 » a pour objet, non seulement la promotion de l’appareil au Brésil et en Argentine, avec comme point d’orgue la participation à l’Exposition française de Sao Paulo, mais surtout la poursuite des essais de performance et d’endurance en situation d’exploitation en ligne.
Un dispositif de permanence a été organisé à Toulouse, dans le cadre d’une astreinte à domicile :
– Robert Gély à Brax pour les systèmes électriques.
– Claude Escola à Toulouse pour les systèmes non électriques et la structure
– Jacques Dalbera est à Colomiers pour les systèmes électriques.
Enfin, une veille permanente sera effectuée au télex et l’acheminement des pièces ou équipements sera fait au moyen des liaisons régulières les plus appropriées au départ d’Orly, Zurich, Madrid, Rome ou Lisbonne.
Après sa première traversée de l’Atlantique Central, le 4 septembre 1971, le prototype 001 effectue quelques évolutions avant de se présenter en approche sur Cayenne Rochambeau. Photos Jean-Paul Dupuy
Le déroulement de cette tournée a été pratiquement conforme aux prévisions (lien vers le tableau des vols et des équipages). Le 18 septembre 1971 à 22 h 10, le Concorde 001 revient à Toulouse après son voyage de démonstration en Amérique du Sud.
17 septembre 1971, vol 190, Rio Cayenne, MM. Perrier, Durand & Rétif.
Indépendamment de l’enthousiasme populaire que cet avion génère à chaque escale, la réussite technique de cette tournée en Amérique du Sud est exceptionnelle. Il suffit de lire pour s’en convaincre les propos tenus par M. Louis Giusta, Directeur Général de l’Aérospatiale, lorsqu’il accueille l’équipage : « Cette tournée en Amérique du Sud est une double démonstration. En premier lieu, c’est la preuve que Concorde n’est plus un phénomène, mais bien un avion que l’on peut intégrer dans un contexte commercial en appliquant les règles normales de la circulation aérienne, même dans des conditions parfois difficiles comme il l’a prouvé en particulier entre Rio de Janeiro et Sao Paulo et à Buenos-Aires, par un temps détestable et sur des lignes particulièrement fréquentées. En second lieu, cet appareil a démontré que l’industrie française existait dans tous les domaines et ne se limitait pas à quelques secteurs déterminés. Il a été le porte-drapeau de l’Exposition française de Sao Paulo. La présence de deux ministres arrivés à l’heure à bord de Concorde a souligné la confiance et le soutien que lui témoigne le gouvernement français »
8 septembre 1971, Valéry Giscard d’Estaing débarque du 001, à l’occasion de l’exposition française de Sao Paulo.
A droite, Roger Périer premier steward Air France supersonique
Les commentaires techniques de M. Lucien Servanty, Directeur des Etudes Avions de l’Aérospatiale, sont tout aussi éloquents : « Ce voyage a permis de confirmer les mesures calculées à partir d’essais fragmentaires exécutés dans diverses conditions connues de paramètres constants, et notamment en ce qui concerne la température, le Mach et la vitesse indiquée. Lors de ce voyage, ces paramètres étaient soumis aux modifications rencontrées sur de longues distances. Toutes nos évaluations ont été confirmées par des chiffres enregistrés, permettant de donner des précisions pour l’exploitation commerciale. Nous avons pu, depuis Toulouse, suivre ce voyage au fur et à mesure de son déroulement, grâce à d’exceptionnelles liaisons directes par radio HF et nous avions, en réception, les messages de l’équipage dès que l’avion avait quitté le sol et avant qu’il ne se pose. La plus longue interruption de liaison a été inférieure à 20 minutes. Il convient de souligner que si le prototype est doté de tous les équipements nécessaires à un avion de ligne actuel, ceux-ci sont soumis à dure épreuve. En effet, un prototype doit subir des essais sévères, dépassant largement les conditions d’utilisation en ligne. Ainsi, lorsque nous faisons des essais en vibration provoqués artificiellement, en vol, les équipements subissent une véritable torture. Si ceux-ci ont parfois quelques faiblesses, nous ne pouvons leur en tenir rigueur. D’une façon générale, nous sommes satisfaits de leur fiabilité et pourtant certains sont encore eux aussi des prototypes »
Il ne restait plus aux compagnies aériennes qu’à confirmer les 74 options existantes au 18 septembre, auxquelles il fallait rajouter les 6 options supplémentaires du 22 septembre (3 pour la Chine Populaire et 3 pour Japan Air Lines). On sait que, malheureusement, elles ne le firent pas !
PB
(*) Les interviews de Louis Giusta et Lucien Servanty sont extraites du Bulletin Spécial de l’Union Syndicale des Industries Aéronautiques et Spatiales publiées dans la revue Air et Cosmos n° 402 du 25 septembre 1971
Article “1971, une année audacieuse“ par Henri Perrier et Michel Rétif
Anecdote “Le courroux du bagnard“ par Jean-Paul Dupuy