Par Pierre Dudal
Pilote d’essais CEV
CDB Concorde Air France
Ce lundi 4 octobre 1976, avec le Président Giscard d’Estaing, le vol spécial Paris-Téhéran prévu à 10 heures avait, par suite de lenteur dans le déroulement du protocole, pris 10 minutes de retard. Or, à l’arrivée, prévue à 12 heures 30 locales, Concorde devait être accompagné par huit avions de la chasse iranienne et, en conséquence, le déroulement du vol à l’arrivée était minuté.
En arrivant à l’altitude de croisière à M 2.0, il était évident que serait maintenu le retard pris au départ. Pour le résorber il fallait, soit trouver un raccourci, soit accélérer. Un raccourci, il ne pouvait en être question car il fallait, pour éviter l’onde de choc sur les terres habitées, contourner les îles Corse, la Sardaigne, la Sicile, enrouler la botte italienne, passer au sud du Péloponnèse et de Chypre ; de là seulement il était possible de mettre le cap direct vers Téhéran avant la décélération, la Syrie ne posant pas de problème à l’endroit du survol en supersonique. Il fallait donc accélérer.
Au cours des nombreux vols d’essais, il en est un qui, à partir de Casablanca, nous amena à effectuer un essai « grand Mach » pour vérifier le comportement des nouvelles entrées d’air moteur. C’est au-dessus de l’Atlantique, au large d’Agadir, que nous avons débuté une accélération très progressive depuis Mach 2.05 jusqu’à Mach 2.22 ! Le comportement était absolument normal en atmosphère calme mais il faut reconnaître qu’à partir de Mach 2.17/2.18, il faut beaucoup de doigté, un pilotage rigoureux et sans à-coups si l’on veut éviter un dysfonctionnement des entrées d’air qui se manifeste par de violents pompages.
Dans le cas du vol vers Téhéran, un léger dépassement pouvait nous faire gagner les quelques dix minutes perdues au départ en maintenant une confortable marge. Alors, nous « ouvrons les breakers » qui limitent le Mach à 2.02 et nous accélérons lentement vers Mach 2.12 que nous maintiendrons pendant la partie supersonique du vol. Or les 10 centièmes de Mach correspondent à une vitesse supérieure d’environ 100 km/heure ce qui nous permettra, avec une descente à VMO (vitesse maximum autorisée) de rattraper le temps perdu au départ. [Pour ne pas dépasser les fatidiques 127°C à la pointe avant, il fallait que, ce jour-là, la température de la stratosphère soit inférieure à -63°C NDLR]
Les Phantom iraniens chargés d’escorter Concorde.
Nous arrivons à Téhéran accompagnés par huit avions de la chasse iranienne et nous présentons au parking à l’heure prévue : 12 heure 30 soit 3 heures 24 après le départ bloc de Paris. Ce fut donc le seul vol avec passagers qui atteignit cette vitesse, un record du monde en quelque sorte, le Président VGE étant le Président le plus rapide du monde ! Evidemment nous ne l’avons pas claironné, c’eût été une mauvaise habitude de la pratiquer.
Pierre Dudal.
Article extrait du livre “Concorde Pilote d’essais, Pilote de ligne” par Pierre Dudal avec André Rouayroux. Editions Le Cherche Midi
Le shah et la shabanou attendant le débarquement de VGE