Par Claude Bernard, Mécanicien Concorde ME.QN.
Les passagers, comme les navigants, ne réalisent pas toujours le fort engagement des personnels de la Maintenance pour que les avions soient dépannés et volent en sécurité. Dans ce témoignage, Claude nous décrit une mission déclenchée à chaud pour porter secours à un Concorde en panne au Canada avec des passagers en souffrance. Là il s’agit du Fox Bravo qui s’était dérouté sur Halifax sur trois moteurs.
C’était le 14 avril 1977, un jeudi, je suis réveillé à 7h00 du matin par un coup de fil de la Division ME-QN, où je travaille comme technicien avion Concorde. On me demande si je peux partir remplacer un GTR (groupe turboréacteur) Concorde en panne à Halifax au Canada. Après mon accord, départ pour le hangar afin de préparer caisses à outils et affaires chaudes, vu les températures négatives annoncées.
Notre groupe est composé de 2 contrôleurs et 5 techniciens. Nous sommes informés de notre itinéraire, Air France n’allant pas à cette escale, départ CDG pour Londres puis avec Air Canada pour Halifax en passant par Shannon puis Reykjavik.
Tout se passe parfaitement mais à l’arrivée, en récupérant les bagages, ni caisses à outils ni cartons de vêtements chauds. Après renseignements, tout cela est parti pour Halifax en Ecosse lors du transfert à Londres. Nous avons la chance qu’un responsable Air Canada nous prête deux caisses à outils et des combinaisons de travail canadiennes.
Pour les vêtements chauds ce sont les couvertures à bord du Concorde qui serviront et ce n’est pas idéal d’autant plus que les portes du hangar ne peuvent pas être fermées totalement vu la longueur du Concorde.
Nous commençons à effectuer le dépannage dès notre arrivée le jeudi soir. Le nouveau GTR arrive par un 707 cargo qui, pour arranger le tout, tombe en panne de reverse sur un moteur. Etant qualifié B707, j’effectue le dépannage par moins 10, de nuit avec une couverture sur le dos ; pas chaud du tout !
Le dépannage du Concorde se termine dans l’après-midi du vendredi ; sortie de l’avion pour point fixe dans la soirée et mauvaise nouvelle : pas d’accélération correcte, nécessité de remplacer le moteur doseur, malheureusement inaccessible sur le GTR déposé sur chariot moteur. Une pièce de rechange doit arriver de New-York dans la nuit. Nous décidons d’envoyer 3 techniciens se coucher, en France, il est déjà 2 heures du matin samedi. Nous restons à 4. Avec l’autre technicien, nous remplacerons le moteur doseur et les 2 contrôleurs ferons le point fixe.
La pièce arrive à Halifax vendredi vers minuit. Remplacement puis point fixe ok, préparation au départ de l’avion qui partira dans la soirée de samedi. Nous obtenons de Paris un repos à Montréal. Après transfert par avion nous arrivons à l’hôtel Queen Elizabeth samedi, il est 16h00 locales. Pour l’anecdote la chambre qui m’est attribuée est occupée, l’hôtel étant complet, on m’accorde une suite. Finalement je peux me coucher pour la première fois près de 62 heures après le réveil du jeudi, excepté un somme d’une heure durant le transfert Halifax/Montréal. J’eus d’ailleurs de grosses difficultés à me réveiller, ce qui inquiéta l’équipage canadien qui dut être rassuré par mes collègues.
CB
Quelques infos issues du site lesvolsdeconcorde.com.
Nota : le décalage horaire d’été est considéré identique à celui actuel : Paris UTC+2, Halifax UTC-3.
Le mercredi 13 avril 1977, à la suite de la panne du moteur 4, le Concorde F-BVFB, vol AF053 en route pour Washington, déroute sur Halifax où il atterrit à 19h00 locales. Quelques heures après, à minuit 29, un Concorde de réserve, le Fox Alpha, arrive de Paris pour emmener les passagers vers Washington qu’ils atteindront avec 9 heures de retard.
La journée de 62 heures de l’équipe de dépannage débute à Paris le jeudi matin à 7h00, et se termine à l’arrivée à l’Hôtel Queen Elisabeth de Montréal le samedi à 16h00 (21h00 heure de Paris) …
Après le changement moteur, le Fox Bravo rentre en convoyage technique vers Paris CDG. Il décolle d’Halifax à 19h54 locales samedi 15 et se pose à Paris le dimanche matin à 3h58.