Par Pierre Grange
On peut affirmer que c’est le nouveau pneu NZG, développé par Michelin durant l’hiver 2000 – 2001 qui a permis la reprise des vols Concorde. Sans lui, la modification « kevlar en fond de réservoir » n’aurait peut-être pas été suffisante pour convaincre les Autorités de rendre à Concorde son certificat de navigabilité. Henri Perrier allait plus loin et disait même que si EADS (devenu Airbus Group en 2014) avait pu prévoir l’arrivée de ce pneu de nouvelle génération, il ne se serait pas lancé dans l’opération « kevlar ».
Chaque roue du train principal de Concorde supporte 23 tonnes et roule, à chaque décollage à plus de 360 km/h. Concorde, conçu dans les années 60, était équipé de pneus de technologie « Bias » (structure croisée en biais, bias en anglais). En 1981, Michelin développe pour l’aéronautique des pneus à carcasse radiale (structure à 90°) plus légers et plus sûrs En 2001 seulement 25% des avions de ligne en sont équipés.
Le pneu Bias se dilate de 8% lorsqu’il est gonflé à sa pression nominale de 16bars. A la vitesse de décollage de Concorde (200kt soit 360 km/h), les forces centrifuges entraînent une augmentation supplémentaire de 4% du diamètre de la roue. Au total, le pneu est dilaté de 12% au moment crucial de l’envol. On comprend que la bande de roulement est alors fortement étirée. En cas de blessure, elle peut facilement se déchirer et éclater, à l’instar de ce qui s’est passé le 25 juillet 2000 sur le vol AF4590.
Pour obtenir une meilleure résistance aux dommages extérieurs, le pneu NZG de Michelin est conçu pour se dilater très peu d’où son nom : Near Zero Growth (expansion quasi nulle). Son diamètre augmente de 2% lorsque le pneu est gonflé à 16bars (16 kilo/cm2) et 1% supplémentaire lorsqu’il roule à 360 km/h, soit une dilatation totale de 3% au moment du décollage (à comparer aux 12% du Bias). Dans ces conditions il n’y a pratiquement pas de tension dans la bande de roulement d’un pneu NZG même au moment de l’envol.
Dans les conditions de décollage, on peut comparer la bande roulement d’un pneu Bias à un élastique tendu que l’on sectionne facilement avec un couteau mal aiguisé alors que si l’élastique n’est pas tendu, il est difficile voire impossible de le couper avec le même ustensile.
Michelin a mené de nombreux tests sur ses bancs d’essais à Alméria en Espagne et Ladoux en France. Il a pu reproduire l’éclatement de pneu du 25 juillet sur un pneu Bias et a pu confirmer que, dans les mêmes conditions, le pneu NZG n’éclatait pas et pouvait même exécuter ensuite une série de 3 roulage-décollage-atterrissage dont le dernier en surcharge prolongée.
2 mai 2001, le Sierra Delta “tout Michelin” à l’atterrissage à Istres.
La dernière épreuve de certification du pneu NZG sur Concorde a lieu le 2 mai 2001 à Istres. Ce jour-là, le Sierra Delta, entièrement équipé Michelin (sauf roulettes avant et arrière), vole et effectue 2 atterrissages. Voir « La 2ème campagne d’essai du F-BTSD à Istres ».
Ce nouveau pneu qui n’éclate plus est une avancée majeure en termes de sécurité des vols mais il présente d’autres avantages : plus léger que le Bias (30%) ou le Radial (15%), il a aussi montré, en exploitation qu’il s’usait moins vite. C’est pour ces raisons qu’à la suite de Concorde en 2001, il a été certifié sur de nombreux avions de ligne dont tous les nouveaux avions Airbus, à commencer par l’A380.
Une fois encore, Concorde a innové !
PG
ps : les données techniques figurant dans cet article sont tirées de la conférence de M. Francis Galibert donnée le 4 octobre 2001 devant les navigants techniques Concorde d’Air France.