Par Pierre Grange
Lorsque l’on imagine Concorde croisant à Mach 2 dans l’air très froid de la stratosphère, les premiers mots qui viennent à l’esprit sont : vitesse, luxe et confort. On n’imagine pas que, malgré l’air ambiant à -55°C, l’appareil est brûlant. Les bords d’attaque sont à plus de 100°C, la pointe avant à 120°C et dans les fuseaux moteurs la chaleur est infernale. L’Olympus va absorber de l’air à 120°C et le comprimer, donc le chauffer encore. Le maximum de température, de l’ordre de 1000°C, sera atteint dans les chambres de combustion. Les Olympus sont ventilés par un air à 120°C, c’est dire s’il fait chaud dans les compartiments moteur. Les moteurs étant accolés à l’aile, la chaleur va se transmettre au carburant contenu dans l’aile.
Alors qu’un appareil subsonique se refroidit au cours du vol, Concorde, au fil des heures, va monter en température, c’est une caractéristique du vol supersonique.
Donc tout chauffe à Mach 2 : les moteurs, on l’a vu, la cabine et les différents fluides. A cette vitesse, les groupes de conditionnement d’air ne parviennent pas à rafraichir suffisamment l’air de climatisation. Il faut trouver du frais ! Concorde va puiser les frigories manquantes … dans son carburant ! Le kérosène passe au travers d’échangeurs thermiques pour refroidir l’huile moteur, l’air de conditionnement de la cabine et le fluide hydraulique. C’est très efficace, surtout au début du vol lorsqu’il reste environ 70 tonnes de carburant encore frais. En revanche, au fil de la croisière supersonique, il y en a de moins en moins et il se réchauffe. Sur un Paris New York, au moment de la descente, le carburant restant dans les réservoirs principaux approche les 70°C.
Mais le kérosène n’est pas à bord simplement pour rafraichir l’avion, il a surtout vocation à brûler dans les chambres de combustion. En fin de croisière, lorsqu’il quitte le réservoir à 70°C et qu’il entre dans la fournaise des compartiments moteur, il s’échauffe fortement et cela peut poser un problème. Si, à son arrivée dans les injecteurs, sa température atteint 150°C, une alarme siffle la fin de la croisière supersonique et impose le retour à vitesse subsonique.
C’est la raison pour laquelle Aérospatiale avait fortement déconseillé les trop longs vols comme les directs Caracas – Paris où l’appareil restait plus de 3h30 en supersonique.
En général, Concorde supportait l’élévation de température sans rechigner. L’alarme « surchauffe carburant » se produisait rarement. 3 conditions devaient être réunies : une durée de vol supersonique élevée, une quantité de carburant faible et une atmosphère chaude c’est-à-dire 5 à 10 degrés de plus que la température standard de -55°C.
Lorsqu’il faisait -50°C à l’extérieur, ne disait-on pas, au cockpit : « Il fait chaud aujourd’hui ! ».
PG
Pour en savoir plus sur les nombreuses contraintes liées à la température extérieure : “Concorde et le défi de la température“.