Une rude journée pour l’équipage
Par Pierre Grange
On peut dire que c’est à 12 heures 40 précises, heure de Paris, le mercredi 21 janvier 1976 que s’ouvre, pour le transport aérien, cette fameuse parenthèse supersonique qui ne se refermera qu’en 2003. Le top décollage des Concorde français et anglais est donné, à Roissy comme à Heathrow, par les tours de contrôle. L’envol simultané des 2 appareils reste visible encore aujourd’hui dans les archives de l’INA. Tandis que le Concorde anglais prend la route de Bahreïn, le Fox Alpha d’Air France part sur les traces de l’Aéropostale et file vers Dakar et Rio.
Il ne s’agit pas, ce jour-là pour Air France, d’un simple premier vol mais plutôt d’un vol inaugurant la première liaison supersonique régulière avec passagers à bord. Air France met les petits plats dans les grands. De nombreuses personnalités viennent sabler le champagne au satellite 5 de CDG 1, juste en face du Fox Alpha prêt au départ. Certains, comme Jacques Mitterrand président d’Aérospatiale, Marcel Cavaillé secrétaire d’état au transport, Pierre Giraudet président d’Air France ou Maurice Bellonte, font partie de l’envolée.
Concorde, ce jour-là, étrenne la nouvelle livrée d’Air France
La composition de l’équipage technique est très particulière puisque l’un des pilotes va subir un examen de passage. En effet, Pierre Chanoine, qui a été qualifié Concorde à Toulouse, doit, conformément aux règles, subir un contrôle en ligne avant de pouvoir exercer la fonction de commandant de bord sur Concorde. Pierre Dudal, le chef de Division est l’examinateur. Avec le recul, on peut penser que les conditions n’étaient pas idéales ce jour-là pour subir un tel examen et c’est certainement pour cette raison que Pierre Chanoine écrivit plus tard : « le vol [inaugural sur Rio] fut le plus mauvais de ma carrière ».
De gauche à droite : Pierre Dudal, André Blanc et Pierre Chanoine
Outre Pierre Dudal commandant de bord contrôleur et Pierre Chanoine commandant de bord contrôlé, l’équipage comprend André Blanc officier mécanicien navigant, Daniel Blot chef de cabine, Nicole Chabrier, Elsa Drouet et Michèle Vallée hôtesses, Jean-Paul Boucher cadre PNC en fonction steward et Gérald Fortier steward. Pour tous, une rude journée s’annonce.
A la pression technico-commerciale liée à la recherche d’un sans-faute, s’ajoute la forte pression médiatique de TF1 qui a transformé ce vol inaugural en un vol spécial à son profit. L’horaire a été avancé d’une demi-heure pour que l’arrivée coïncide avec le JT de 20 heures à Paris. La synchronisation des décollages a été organisée pour donner aux caméras de TF1 des images exclusives. A bord, le journaliste Yves Mourousi et son équipe, occupent l’espace. Celui dont André Blanc disait qu’il avait un « formidable bagout », est installé sur le jump-seat au cockpit et commence à transmettre dès le lever des roues. Durant le vol, il se rend en cabine pour interviewer passagers et célébrités.
Après un départ à l’heure, la première étape se déroule normalement même si Concorde perd un peu de temps en arrivant très haut en vent arrière. L’escale technique tourne à la visite protocolaire et dure un peu plus que prévu.
Le Fox Alpha est attendu à Dakar !
C’est après le décollage de Dakar que la tension monte d’un cran dans l’étroit et encombré cockpit lorsque les vannes d’air secondaire refusent de s’ouvrir, interdisant ainsi le passage à vitesse supersonique. Il faudra tout le métier d’André Blanc pour arriver à déjouer cette panne (*). Ce retard à l’accélération coûtera une vingtaine de minutes de retard supplémentaire à l’arrivée à Rio. Yves Mourousi manquant ainsi son rendez-vous avec le 20 heures de TF1, claironne qu’il descendra avant tout le monde, ministre compris et c’est ce qu’il fait à 20 heures 20.
A Rio, comme annoncé, Yves Mourousi descend le premier. M. Cavaillé suit.
L’équipage disposera de 3 jours de repos pour se remettre de ses émotions avant de repartir vers Paris. Cette fois ce sera un vol régulier et sans histoire !
PG
(*) voir “Panne de volets sur Concorde“ par André Blanc