Le raccord de dilation des circuits hydrauliques de Concorde
Par Jean-Louis Chatelain
Le choc des particules d’air, à l’impact sur un mobile, libère de l’énergie. Celle-ci se transforme en chaleur. C’est le fameux échauffement cinétique. Les lois de la physique nous donnent la formule suivante qui lie la température à l’impact (température « totale ») à la température ambiante (température statique) :
Ttot=Tstat(1+0,2M²)
Ainsi l’échauffement croit de façon exponentielle avec le nombre de Mach. A Mach 2, deux fois la vitesse du son, vitesse de croisière de Concorde, l’échauffement est proche de 180°C. La résistance de l’alliage Au2GN de Concorde, plus tolérant à la chaleur que l’alliage classique Au4G, limitait néanmoins le domaine de vol à une température de 127°C au bord d’attaque de l’aile. En atmosphère chaude on pouvait atteindre cette température limitative TMO (Température Maximale en Opérations) et il fallait alors réduire autant que nécessaire la vitesse. La conduite du vol de Concorde passait par la surveillance de la température totale. Chacun des pilotes disposait, en bonne place sur l’avant du pylône central, d’un thermomètre. Le mécanicien navigant avait lui aussi son indicateur de température totale.
Il résulte évidemment de cet échauffement cinétique un important phénomène de dilatation. Concorde, avion qui mesurait 78 mètres de long, s’allongeait de presque 20 centimètres durant sa croisière à Mach 2. C’était donc un très grand défi que d’éviter les fuites ou ruptures des canalisations hydrauliques, d’autant que les pressions choisies par les concepteurs de Concorde étaient de 4000 PSI (Pound Per Square Inch) supérieures à celles des avions subsoniques qui lui étaient contemporains, lesquelles étaient de 3000 PSI… Une pression de plus de 280 kg/cm² !
Et à l’époque du design de Concorde, la technologie ne permettait pas l’installation de générations hydrauliques locales, comme sur les Airbus A380. Entre les pompes hydrauliques, entrainées par les moteurs, et les servitudes, telles que les vérins de commandes de vol ou de manœuvre des trains d’atterrissage, il y avait donc des « kilomètres » de tuyauteries hydrauliques. Les ingénieurs ont donc conçu des raccords de dilatation pour les circuits hydrauliques de Concorde.
Les images d’un exemplaire de ce raccord, qu’il a été donné à l’auteur d’acheter lors d’une vente aux enchères à la Halle aux Grains de Toulouse, forcent l’admiration. S’ajoute à l’efficience de l’objet un usinage magnifique.
Il y a symbiose entre la technologie et l’art.
Tout y est : Décolletage de précision, polissage, harmonie des métaux nobles et de leurs couleurs, et touche artisanale magistrale avec un freinage somptueux au fil à freiner… Du grand art, digne de Léonard de Vinci qui alliait œuvre scientifique et création artistique.
Oui, la technologie de Concorde relève de l’art.
L’avion lui-même, dans ses formes, en plan ou en profil, est d’une beauté inégalée, vingt ans après son arrêt d’exploitation.
JLC