Par Gilbert Defer
Pilote d’essai Concorde
Entretien réalisé le 23 octobre 2010.
Retranscription par André Rouayroux.
©Gens de Concorde DR
En 1974, le programme supersonique franco-britannique est en danger bien que le 26 septembre 1973, en effectuant la traversée Washington – Orly, le présérie français ait prouvé que Concorde était en passe de réussir son pari. L’idée d’effectuer, avec cet appareil, des vols représentatifs de la future utilisation commerciale de l’avion est lancée. Elle a pour but de prouver que, même si le travail de mise au point n’est pas encore terminé, l’avion est arrivé à un niveau de maturité technique qui peut donner toute confiance dans la réussite finale du projet. A l’occasion de l’invitation du Massachusetts Port Authority, le Sierra Alpha participe à l’inauguration du nouveau terminal de Boston. C’est l’occasion de réaliser une spectaculaire course de vitesse à travers l’Atlantique Nord. Elle nous est racontée par Gilbert Defer, pilote au décollage de Boston.
Monsieur Ziegler, quelque part notre patron, était convaincu qu’il fallait montrer cet avion. Le meilleur vendeur de Concorde est Concorde lui-même répétait-il. Et donc les commerciaux, les gens de la presse, du marketing nous organisaient tout un tas d’opérations promotionnelles. En 1974, les essais étaient déjà bien avancés même si l’avion n’était pas encore certifié. On avait du temps.
1974, Concorde “Welcome to Boston”
Alors de quoi s’agissait-il ? Pendant une tournée nord-américaine, nous étions positionnés à Boston et nos équipes voulaient démontrer que Concorde était le plus rapide des avions de transport et par là même, frapper un grand coup vis-à-vis de l’opinion publique. Nous décollerions de Boston au moment précis où le B747 d’Air France décollerait de Charles de Gaulle pour son vol vers Boston. Pour nous, le jeu était de faire la traversée, de nous poser à Paris avant de revenir à Boston. A Charles de Gaulle un petit pot pour les passagers pendant qu’on refaisait les pleins et changions d’équipage avant de redécoller vers Boston. Normalement, on devait rattraper le gros transport lent, le doubler et nous poser à Boston quelques minutes avant lui. Ça avait, il est vrai, un petit côté qui démontrait pratiquement l’avantage de la vitesse. Comme j’avais la charge de ce vol, j’étais allé voir la veille l’ATC (Air Traffic Control) pour les informer et leur présenter l’opération. Je leur avais dit, voilà ce que notre service de presse nous demande de faire… et je leur donnais le programme. Nous n’avons besoin de rien de particulier, la seule chose que nous voudrions c’est être certain de décoller au même moment que le B747. Si vous pouviez synchroniser cela, ça aura une valeur d’exemple précise. Pour le reste on verra bien ! Et là, le contrôleur m’interrompt et me dit :
« … mais on ne verra rien, vous vous poserez avant le B747.
Vous ne pouvez pas dire ça. Comme vous le savez, il peut toujours y avoir un petit impondérable, un retard, la météo, le vent ou que sais-je encore …
…Je vous le répète, vous vous poserez avant le B747.
Mais enfin, comment faites-vous pour me dire ça ? Vous êtes le Bon Dieu ? » Et là, j’entends :
« Non, mais demain c’est moi le chef de quart, alors le 747… il risque de tourner longtemps ! »
En réalité, on n’en a pas eu besoin. On s’est posé quelques minutes avant lui, à la régulière. On a parlé avec Chanoine (le commandant du B747) à l’aller comme au retour, c’était amusant, et voilà … C’était le côté sympathique qu’on a très souvent trouvé en Amérique. Un véritable support, les gens étaient fascinés par cet avion et nous aidaient. Je ne parle pas des contorsions politico-comiques autour du bruit. Mais les gens avaient un peu la flamme pour cet avion.
Et pour vous montrer le climat qui régnait, je me souviens très bien que, lors de ce même vol, pendant que je roulais pour aller m’aligner et décoller à l’heure précise, les autres avions au roulage demandaient à pouvoir se parquer en épi, parce qu’ils voulaient voir et montrer le décollage de Concorde à leurs passagers. Et je vous garantis que Boston est un aéroport chargé, à cette heure matinale, le trafic est intense. C’était quand même l’expression d’une sympathie, non !
GD
17 juin 1974, le “lièvre” Concorde très attendu après sa course à travers l’Atlantique Nord !