Par Gérard Duval
Février 2002, six heures du matin, aéroport de New York Kennedy, je suis avec Jean-Louis, commandant de bord et Joël, officier mécanicien navigant en train de préparer le vol AF 001 qui nous attend. Dans le dossier de vol nous étudions la météo des terrains qui jalonnent notre route ainsi qu’à l’arrivée et aussi les cartes de vent et température en altitude pour déterminer la consommation carburant. À New York il y a du brouillard et la piste prévue au décollage est la 31 L avec une visibilité de 400 m. Finalement nous choisissons une quantité totale de carburant de 90 tonnes supérieure de 2 tonnes à la quantité minimale requise.
Après la mise en route nous rejoignons le point d’attente de la piste 31 L occupée par un avion d’American Airlines. La tour de contrôle lui passe les dernières visibilités sur cette piste qui sont de 700–700–500 en pieds [Visibilités au seuil, à mi-piste et en bout de piste] et l’avion aligné signale qu’il n’a pas les minima pour décoller (la visibilité doit être au minimum de 700 pieds soit 210 m sur toute la piste). Jean-Louis demande alors quelles sont les conditions sur la piste 22 la réponse est 2000 pieds. A ce moment le contrôle met en service la piste 13 L pour permettre les atterrissages en catégorie 2 avec une visibilité minimale de 1600 pieds et la piste 13 R pour les décollages quand la visibilité sera suffisante. Jean-Louis demande alors la piste 22 R et nous sommes autorisés à rouler pour rejoindre cette piste puis c’est à nouveau l’attente au seuil.
Jeu de piste à Kennedy
Cela fait presque une heure que nous consommons du carburant pour le roulage au sol et la quantité restant à bord approche du carburant minimum pour faire l’étape. Jean-Louis signale à la tour que si nous n’avons pas décollé dans les cinq minutes nous devrons retourner au parking pour un complément de plein. Nous sommes enfin autorisés à décoller, le carburant consommé au roulage est de 4 tonnes. Pendant la montée subsonique nous constatons que la tuyère secondaire du moteur 3 reste bloquée à 21° alors qu’elle devrait s’ouvrir progressivement en fonction du Mach. La procédure confirme la panne qui impose de n’utiliser que trois réchauffes pour l’accélération supersonique. Nous savons que cette situation va augmenter notre consommation carburant d’environ 3,5 tonnes.
Compte tenu des bonnes prévisions météo à Roissy qui dispose de quatre pistes utilisables nous décidons de poursuivre le vol sans dégagement. Au passage du 60°West nous estimons la quantité carburant à l’arrivée à 8 tonnes. Nous avons tracé la courbe de consommation distance avec 8 tonnes à l’arrivée et nous vérifions à chaque point que nous sommes sur la courbe. Nous prévenons le « dispatch » Air France de notre situation pour obtenir du contrôle une arrivée opérationnelle à CDG. Ce ne sera pas vraiment le cas en raison du trafic qui nous obligera à réduire la vitesse et de la configuration face à l’ouest. Nous atterrissons en piste 27 et après 10 minutes de roulage nous sommes au parking frein de parc serré. Il reste à bord 6,4 tonnes.
Mission réussie.
GD
Extrait de « Brèves histoires d’un pilote de Concorde », article paru dans la revue Mach 2.02 N°58