On sait que le roll-out du prototype Concorde, en décembre 1967, eut un grand retentissement. Cinq ans plus tard, à la fin de l’année 1972, c’est au tour du présérie français de sortir de sa chrysalide. Deuxième supersonique assemblé à Toulouse, il est très proche de la version définitive de Concorde. Henri Ziegler souhaite donner un large écho à sa présentation et l’associer au prototype de l’Airbus, l’A300B N°1 qui prépare, lui aussi, son premier vol. L’idée est de réunir dans une même fête ces deux appareils qui incarnent l’espoir de l’industrie aéronautique française et européenne. Dans l’esprit de tous, ils figurent l’aviation civile du lendemain, partagée entre avions supersoniques et gros-porteurs.
Le 28 septembre 1972, les deux appareils se présentent face à face devant un brillant aréopage. Pour célébrer la coopération européenne, de nombreux ministres français, allemands, anglais, hollandais et espagnols côtoient les ambassadeurs de huit pays dont le Japon et les Etats-Unis. Après la prise de parole d’Henri Ziegler, quelques personnalités prennent la parole comme Sir Arnold Hall président de Hawker Siddeley Aviation, Franz Josef Strauss président d’Airbus Industrie, M. Rohwedder secrétaire d’état à l’économie d’Allemagne, Michael Heseltine ministre britannique de l’aviation et de l’espace et enfin Pierre Messmer, premier ministre français. (infos Jacques Noetinger)
Le Sierra Alpha vient de se positionner devant les officiels © AAMD – DR
L’heure est à l’optimisme. Pour Concorde les déconvenues commerciales ne commenceront véritablement que l’année suivante, quant à Airbus l’avion est tout nouveau, le carnet de commande est vide mais, d’ici à la certification, on espère trouver des clients.
Concorde et Airbus face à face © Airbus Heritage
Un demi-siècle plus tard, il faut se replacer dans l’ambiance de ce 28 septembre 72. Les personnes présentes n’ont d’yeux que pour Concorde. Il est vrai que c’est la première apparition du présérie français. Avec son nez vitré et sa queue allongée, il a une ligne extraordinaire. En revanche l’A300 parait banal et pataud et n’enthousiasme personne. Pour s’en convaincre, écoutons Bernard Ziegler (fils d’Henri) parler de cette journée. « Je me souviens du premier roulage du premier Airbus, l’A300. L’on avait dressé une estrade où se tenaient tous ceux qui portaient culotte, j’étais aux commandes du proto et fier comme Artaban, nous nous sommes arrêtés en face du Concorde que l’on avait présenté aussi pour faire bon poids. Les discours finis, les flonflons tus, la foule a envahi le parking et s’est précipité vers … le Concorde. Un peu dépité je me tenais sur l’échelle de coupée, rejoint par un des directeurs de l’Aérospatiale qui me dit : Bernard, tu vois et, me montrant le Concorde, ça c’est le mâle, et ça la femelle … qu’est-ce que l’on va bien pouvoir faire de cette grosse vache ! » (*)
Et pourtant, stratégiquement, l’A300 était un coup de génie. Ce fut le premier gros-porteur bimoteur. Il répondait au besoin des Compagnies. Boeing mit presque dix ans à trouver la parade avec le Boeing 767 qui ne fit son premier vol qu’en septembre 1981. Ce retard allait permettre à Airbus de pénétrer le marché américain ; on sait que ce fut long et difficile. Le 6 avril 1978, avec la vente ferme de 23 A300-B4 à Eastern Airlines, Airbus décollait. On connait la suite !
Ce 28 septembre 1972, l’industrie aéronautique européenne présentait deux projets en phase avec sa vision du futur. Personne ne se doutait qu’il assistait, ce jour-là, au passage de témoin entre Concorde et Airbus, entre le rêve supersonique et la réalité d’aujourd’hui.
PG
(*) Extrait d’une conférence de Bernard Ziegler à Paris le 22 novembre 2002. Au cours de cette conférence il expliquait ainsi la réussite d’Airbus : « Ce fut d’abord une équipe d’hommes exceptionnels, soudés par une commune passion pour l’aviation, une commune foi en l’Europe, un commun désir de lui restituer sa place perdue dans le transport aérien. Et le plus grand d’entre eux dans ma mémoire, ce fut mon père, Henri Ziegler, ingénieur et pilote d’essais, européen convaincu depuis les années de résistance, aguerri tant au transport aérien qu’à l’industrie. C’est lui qui sortit Airbus de la jachère. Il eut un support de poids, le « taureau de Bavière », Franz Josef Strauss, politicien redoutable et grand fanatique de l’aviation, le soutien technique d’un homme de production madré, Felix Kracht, que nous surnommions « le Parrain », d’un ingénieur de génie, sans doute le plus grand de son temps, Roger Béteille, qui alliait sagacité et pragmatisme et de quelques autres. Une petite cordée qui resta soudée dans les tempêtes, ne rechignait à aucune tâche, et décidait très vite même les paris les plus fous »
Pli philatélique émis à l’occasion de cet évènement. Collection Philippe Borentin
