Par Alain Bataillou
Tous les passionnés d’aéronautiques que nous sommes, avons lu les aventures du Petit Prince de St-Exupéry dont nous venons de fêter cette année les 70 ans de publication [article paru dans la revue Mach2.02 en 2013 ndlr]. Paru à New-York en 1943 en anglais et en français, ce roman dont le narrateur est un pilote de l’Aéropostale, raconte l’aventure de cet aviateur qui se pose dans le désert en panne de moteur et tente de réparer, comme l’a fait l’auteur !
Le lendemain de son atterrissage forcé, une petite voix lui demande : « S’il te plait dessine-moi un mouton » ! Le pilote s’exécute et fait connaissance avec ce Petit Prince qui vit sur son astéroïde B 612 tellement petit qu’il lui suffit de déplacer sa chaise après ses activités quotidiennes pour observer plusieurs couchers de soleil, 2 ou 3 ou plus le même jour.
Il se trouve que les performances du Concorde, qui volait en croisière plus vite que le soleil, nous permettaient d’observer cet étonnant spectacle. Récit d’un de ces vols :
Nous sommes le 23 septembre 1977 et l’équipage de l’AF 201 prépare le vol qui doit quitter Roissy à 17h00 GMT pour Caracas avec une escale à Santa Maria (aux Açores). Notre avion sera le F-BVFD (le Concorde numéro 11) qui avait fait son premier vol en ligne à Air France quelques mois auparavant, le 30 mars 1977.
L’équipage technique se compose du Commandant Jacques Mims, de l’OMN Gérard Brugeroux, notre fidèle Gégé, et moi-même en OPL. Nos amis PNC sont : Chef de Cabine Françoise Chevalier, les hôtesses Dominique Badan et Florence Bouteille, accompagnées de Jean Corcessin, Jean-Pierre Labat et Jean-Yves Plantey.
En prévol : Gérard Brugeroux et Alain Bataillou
Pendant que nous préparons le vol, la nuit tombe et c’est notre premier coucher de soleil de la journée ! Le Commandant décide de l’emport de 65 tonnes de carburant, nous quittons le parking à 17h02 pour un décollage de nuit et un vol subsonique à Mach 0,95 jusqu’à la verticale de Nantes où par un petit calcul nous déterminons le point d’accélération pour faire tomber le premier bang sonique au large de l’Ile de Noirmoutier.
Et rapidement le miracle se reproduit : au fur et à mesure que nous accélérons dans la nuit, une lueur apparaît devant nous, vers l’ouest et le jour se relève ! Et bientôt l’astre solaire, qui d’habitude se lève à l’Est, pointe son nez, monte sur l’horizon ouest et nous éblouit ; il est droit devant nous. Quel spectacle !
Le travail pour l’arrivée à Santa Maria ne nous permet pas trop de rêver, il faut descendre et réduire la vitesse. Le soleil se stabilise un peu au-dessus de l’horizon puis recommence à descendre au fur et à mesure que nous ralentissons. En approche à Santa Maria, nous assistons à notre deuxième coucher de soleil de la journée !
Une escale de 48 minutes pour reprendre du carburant (87,5 tonnes ce jour-là), permettre aux passagers de faire une visite de nuit dans la minuscule aérogare de cette île des Açores et nous remettons en route les réacteurs. Nous quittons le parking à 19h55, l’horaire, décollons de nuit, la grande flamme de la post-combustion à l’arrière des réacteurs éclairant le paysage et accélérons en continu vers le supersonique au-dessus de l’Océan Atlantique.
Et le spectacle étonnant se reproduit ! Vers l’ouest, la lueur du jour réapparaît de plus en plus, chassant la nuit, jusqu’à l’éblouissement des premiers rayons du soleil qui va lentement monter dans le ciel, du côté où d’habitude il plonge dans la mer ! Miracle du vol à Mach 2, environ 50% plus vite que le soleil sous ces latitudes !
Après 2h20 de vol, le soleil est haut dans le ciel et à 200 miles nautiques de Caracas nous commençons la descente en réduisant le Mach. L’astre du jour reprend lentement sa trajectoire normale, sa descente vers l’ouest. Nous atterrissons à 23h00 GMT et peu de temps après avoir serré le frein de parking contre l’aérogare nous voyons notre troisième coucher de soleil de la journée !
Certes, nous n’avons pas assisté comme le Petit Prince a pu le faire une fois à plus de quarante couchers de soleil juste en déplaçant sa chaise sur son astéroïde, mais les trois que ce vol en Concorde nous a offerts ce jour là sont restés, même après 36 années, un très grand moment de bonheur !
AB