Par Alain Bataillou
Extrait d’un article qui nous parle d’un atterrissage très particulier à Washington où Concorde avait surpris … Le commandant était André Quilichini et le mécanicien René Duguet. Alain était pilote en fonction.
A l’approche des côtes américaines nous décélérons en subsonique et passons au sud de l’aéroport de New-York Kennedy à 39 000 pieds, mach 0.95 par le point Sates, le VOR de Robbinsville (RBV) et profitons d’une très belle vue de la ville de New-York, le temps est superbe, c’est l’été indien.
En contact avec l’approche de Washington Dulles, on nous propose la piste 19 droite, c’est presque une arrivée directe. J’ai toujours aimé cet aéroport en pleine nature, entouré de forêts, pas trop fréquenté et où il n’y a pas de tension due au trafic comme à New-York ou pire à Chicago.
André Quilichini et Alain Bataillou.
D’habitude nous approchons à 210 kt (380kmh) pour réduire vers 160kt (290kmh) en finale afin de diminuer le bruit pendant cette phase mais ce jour-là, le contrôle nous demande de prendre rapidement notre vitesse d’approche finale car nous suivons un gros porteur, un Boeing 747, qui va se poser aussi sur la piste 19 R, la piste gauche 19L servant aux décollages. Nous constatons que nous le rattrapons régulièrement, il doit avoir une vitesse d’approche de 140kt environ, nous 160, et nous commençons à le voir bien gros devant nous et sentons bien qu’il va y avoir un problème, je me prépare à effectuer une remise de gaz. A 1000 pieds, le contrôle nous annonce que nous sommes trop proches de lui et nous propose de faire un break à droite et de nous poser sur la piste 12. D’un regard André comprend mon accord et par un virage à droite à 1000 ft (300m), que nous appelons une baïonnette, je m’aligne sur la piste 12. Avec la maniabilité exceptionnelle du Concorde, c’est un plaisir de faire ce genre de manœuvre et nous sommes rapidement en courte finale sur cette piste 12.
Il est environ 18h00 locales, c’est le crépuscule par cette belle journée d’été indien. Les roues du train principal touchent la piste délicatement, les phares sont tous allumés. J’abaisse le nez de l’avion pour poser doucement le train avant et au moment où les 2 roues en question touchent la piste nous voyons avec stupéfaction dans les phares se lever devant nous une dizaine de petites biches qui partent en courant dans tous les sens, effrayées par le bruit et les phares ! Bien sûr nous ne pouvons rien faire, nous sentons et entendons des chocs sourds sous l’avion. Nous arrêtons l’avion sur la piste et sur nos instruments ne constatons rien d’anormal, ce que nous confirme René. Nous reprenons le roulage pour dégager la piste et cherchons comment dire « biche » en anglais (« doe ») pour prévenir la tour de contrôle. Un grand silence radio intervient quand nous décrivons l’incident au contrôleur ! Que s’est-il passé, comment est-ce possible sur un grand aéroport comme Washington Dulles ? Comme déjà indiqué, la zone aéroportuaire de la capitale des Etats-Unis est immense, quelques centaines d’hectares, close et renfermant des forêts, des lacs et des champs où vit une faune abondante. Durant cette journée d’automne ensoleillée, la piste a chauffé et un troupeau de petites biches, trouvant son revêtement bien chaud alors que la fraicheur de la nuit tombe, s’est installé dessus. La tour de contrôle nous a donné cette piste dans l’urgence pour atterrir sans avoir le temps de vérifier si elle était bien dégagée et en état, ce qui doit être fait normalement avant de l’ouvrir au trafic.
Nous rejoignons lentement notre parking et voyons bien l’agitation du personnel au sol quand nous approchons de l’aérogare. Dès que notre mécanicien de piste branche son interphone il nous dit : « Quel carnage ! Vous avez voulu repeindre l’avion en rouge ? »
A l’arrêt de l’avion, le cadavre d’une biche, coincé dans le train principal droit, tombe sur le sol, un autre, coincé dans l’entrée d’air du moteur 3, pend sous l’avion ! L’intrados droit et le fût du train droit sont tout rouge. 5 ou 6 cadavres de biches sont trouvés sur la piste 12. En fait les dégâts sont minimes : la grille du ventilateur de frein côté droit est enfoncée et le ventilateur correspondant détruit.
Ce jour-là Concorde avait été un vrai chasseur !
AB
Retrouver le récit intégral de ce vol particulier à plus d’un titre : correspondance Braniff, les biches, l’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran … Concorde un vrai chasseur !