Par Jacques Schwartz
Commandant de bord Concorde.
C’est parce que nous avons fait route ensemble à travers « l’aviation » pendant 57 ans que j’ai accepté l’honneur, le bien triste, de te dire adieu au nom de tous ceux qui t’ont connu, apprécié et aimé.
Que de chemin parcouru depuis les paillasses pleines de punaises du camp Cazès, à Casablanca en 1944, jusqu’à ton perchoir parisien en cette année 2001. Nos routes, parallèles au départ, se sont plus ou moins séparées, rejointes, croisées, etc. pour finalement se rejoindre réellement en fin de carrière et pendant une amicale retraite.
Après le Maroc, longue traversée, en convoi, de l’Atlantique Nord, zigzaguant pour éviter les U.Boote de la Krieg Marine. Puis les USA et le « deep south » avec l’entraînement sans concessions de l’US Army Air Force. Enfin, en août 1945, la réalisation de ton rêve le plus cher : breveté de bombardiers. A ton retour en métropole tu resteras dans l’armée de l’air et tu participeras a la guerre d’Indochine.
En 1950, tu nous rejoindras au sein de la grande famille Air France où tu enchaîneras avec brio les changements de machines et d’affectations. Nous nous retrouverons en parallèle sur 707, 747 et, plaisir total sur Concorde, le magnifique ! Continuant, à l’approche de la retraite et, après, en Normandie où tu partageras ton temps, Monsieur le maire de la Trinité de Thouberville, entre le service de tes concitoyens et ton hobby préféré, la construction ou la rénovation de merveilleux bijoux volants. Pour terminer ce sera la chaude ambiance de l’Apcos où nous retouvions un grand nombre d’anciens de Concorde.
Ton aîné par l’âge, bien que ton cadet d’un mois en tant que pilote, je me suis permis de te juger. Pardonne-moi mais, chez tout être humain, il est possible de faire un bilan en additionnant, en positif, les qualités et en négatif les défauts. Si le résultat est neutre, c’est bien triste. S’il est négatif cela permet au moins d’en parler. Si par contre, il est positif, il est quelquefois permis d’employer des superlatifs. Chez toi, ce bilan fut extrêmement positif !
Tu étais l’exemple même du « Grand Pilote » c’est à dire habileté et technicité heureusement confondues. La Légion d’honneur vint, en son temps, confirmer ce point de vue largement partagé. Mais à mes yeux, tu étais surtout un Aviateur dans toute l’acceptation du terme. Ta maîtrise professionnelle ne te suffisant pas, tout ce qui était aéronautique représentait le plus grand nombre de tes violons d’Ingres. Tu n’as pas cessé de faire joujou avec de drôles de machines, depuis ton étrange petit autogire du début, jusqu’aux merveilleuses réalisations effectuées dans une grange au fond de ton jardin normand. Je ne les ai pas toutes connues, mais je me souviendrai toujours avec émotion que tu m’as permis de juger en vol sur certaine d’entre elles, de la qualité et de la rigueur du travail que tu effectuais.
Je présente, Gérard, mes bien sincères condoléances à tous les tiens, parents, proches et amis, alors que tu nous as quittés nimbé de l’auréole des aviateurs Tu sais cet arc en ciel, qui est d’ailleurs une couronne plus qu’un arc, puisque c’est un cercle complet, souvent triple, aux couleurs chatoyantes que l’on ne peut voir que du ciel !
JS
Hommage publié dans la Revue Mach 2.02 N°22 d’octobre 2001.