Interdiction de survol des Etats-Unis pour Concorde !

Par Pierre Grange

Le 27 mars 1973, la FAA annonce qu’à compter du 27 avril, le survol des Etats-Unis à des vitesses supersoniques sera interdit aux appareils civils. Après l’abandon de leur programme supersonique SST survenu 2 ans auparavant, cette décision est considérée comme une mesure anti-Concorde. De plus, elle survient moins de 2 mois après ce 31 janvier « noir », où les trois Compagnies majeures américaines (Pan Am, TWA et American Airlines) ont mis fin simultanément à leurs options d’achat pour Concorde. En ce début d’année 1973, les Etats Unis semblent bien vouloir abattre Concorde.

Mais 50 ans après, que peut-on dire de cette interdiction de survol supersonique des terres habitées ? Tout d’abord que cette décision n’est pas une surprise. Elle fait suite à une décennie de polémiques américaines autour du SST. Des polémiques financières et techniques mais surtout des controverses environnementales qui se focaliseront principalement sur le bruit.

Le bruit au décollage inquiète. Avec ses 4 réacteurs General Electric équipés de post-combustion, chacun poussant à 30 tonnes, certains pensent qu’au décollage, le Boeing 2707 de 290 tonnes sera l’avion le plus bruyant au monde mais c’est surtout le bang sonique qui inquiète les Américains. Dès le milieu des années 50, leur pays dispose de flottes d’avions supersoniques militaires. Les premières études menées par la NASA montrent que les nuisances dues au bang dépendent de nombreux facteurs dont la vitesse et la masse de l’avion mais surtout qu’elles sont incontrôlables. Une étude qui fait grand bruit est celle menée à Oklahoma City entre février et juillet 1964. La ville est survolée 8 fois par jour par des avions de types différents à des altitudes et des Mach variables. Cela est vécu comme un véritable bombardement. Tout le monde comprend alors que le survol supersonique de zones habitées est une réelle nuisance.

Convair B58 Hustler un des appareils utilisé pour survoler Oklahoma à vitesse supersonique

Pour celles et ceux qui n’en sont pas convaincus, allez écouter « le bang à Tesgo » , une vidéo filmée par Stéphane Craye et qui figure dans le documentaire « Un ciel signé Concorde » réalisé par Loïc Pourageaux. Dans les derniers mois d’exploitation de Concorde, certains navigants Air France et autres fanas de Concorde ont l’idée d’aller se positionner en bateau au nord-ouest du Havre, juste sous la trajectoire de l’AF 002 en partance pour Kennedy. Le bang entendu, alors que l’avion est du côté de Mach 1.2, est spectaculaire et on comprend bien qu’il serait insupportable s’il se répétait de jour comme de nuit.

On remarque aussi que cette décision américaine est vite devenue le standard mondial. Concorde s’est toujours plié à cette règle à quelques rares exceptions près. J’ai souvenir d’un vol présidentiel retour d’Asie où nous sommes passés à Mach 2 au-dessus des Emirats Arabes Unis, juste entre Dubaï et Sharjah.  

Lockheed Martin X59. Programme Low Boom Flight Demonstrator de la NASA

Aujourd’hui, un programme de recherches placé sous l’égide de la NASA, visant à diminuer le bang perçu au sol, pourrait laisser penser que les Etats-Unis reviennent sur leur position. En fait non, car la mesure de 1973 précise qu’elle concerne tous les vols civils « sauf dans les cas où il a été démontré que cela ne causerait pas de bang sonique mesurable au sol ». L’objectif annoncé par la NASA pour le démonstrateur X59 est que le bang au sol ne soit pas plus fort que le claquement d’une porte de voiture. Le X59, avion mono-pilote, qui mesure 30 mètres de long pour une masse de 14,7 tonnes relèvera-t-il le défi ? c’est ce que nous saurons bientôt.

PG

Quelques extraits des médias pour en savoir un peu plus sur l’opération Bongo à Oklahoma city et pourquoi seulement un quart des habitants se sont dit incapables de vivre avec huit bangs supersoniques par jour (le reste de la population pensait que cette nuisance était le prix du progrès d’autant plus que le SST américain était annoncé)

Dépêche AFP Washington annonçant l’interdiction de survol édictée par la FAA.