Extraits de la Revue Aéronautique Pionniers N°165 (Les Vieilles Tiges)
Paru avec l’autorisation de son auteur Jacques Noetinger dans la Revue Mach 2.02 N°31 d’avril 2006
Devoir de mémoire : Jean Franchi
Le 1er septembre 1985, Jean Franchi succombait, victime d’un cancer. Considéré comme un « preux » au sein de l’élite des pilotes d’essais, il était homme de caractère, intolérant à la médiocrité mais indulgent vis-à-vis de la bonne volonté. Sur le plan professionnel, il était scrupuleux, exigeant, méthodique, jaloux de ses prérogatives car conscient de ses atouts, sans toutefois rechercher les honneurs. Assez secret, de tempérament inquiet, il avait parfois des réactions explosives, fustigeant le laisser-aller.
Sa carrière fut à la fois riche et exemplaire, fruit d’un travail acharné et méthodique.
Né le 4 octobre 1923 à Alger, élève de l’École de l’Air dans la promotion dont fait partie le futur chef d’état-major de l’armée de l’Air, Maurice Saint-Cricq, avec lequel il est breveté pilote aux États-Unis, Jean Franchi est d’abord affecté au groupe 2/33, puis à la chasse de nuit au « Lorraine ».
De 1950 à 1953, il séjourne au sein de l’U.S. Air Force comme officier d’encadrement dans les écoles où sont formés, notamment, les élèves français. Il restera très attaché à ses amis américains.
À son retour, c’est en Grande-Bretagne qu’il obtient, en 1954, sa licence de pilote d’essais à l’Empire Test Pilot School de Farnborough. Il est ensuite nommé chef adjoint du PN à Brétigny avant de devenir, de 1960 à 1962, sous-directeur du C.E.A.M. à Mont-de-Marsan. Après un stage à Chambéry pour acquérir une licence de pilote d’hélicoptère, il revient à Brétigny, de 1963 à 1966, comme chef du PN.
C’est pour lui l’occasion de piloter une large gamme de prototypes français et étrangers, dont le « Trident » et le monoplace expérimental « Deltaviex » de l’ONÉRA. Lors d’une mission aux USA, dans le cadre d’échanges, il se blesse à la colonne vertébrale lors du crash d’un chasseur « trafiqué ».
Avec une telle expérience, il est recruté par Sud Aviation où il fait une carrière brillante. D’abord attaché à la Direction pendant deux ans, il intègre ensuite l’équipe d’essais de “Concorde” en 1968, un an avant le premier vol du supersonique.
Il totalise 1 000 heures d’essais sur « Concorde », vivant certains des grands moments de ce programme. Citons en particulier :
– Le 4 novembre 1970, il occupe la place de copilote, à côté d’André Turcat, pour le premier vol à Mach 2 sur le 001
– Le 12 décembre 1971, comme premier pilote, assisté de Jean Pinet, il réussit un atterrissage dans un ciel d’enfer aux Açores, dans des trombes d’eau, avec à peine 100 mètres de visibilité, pour amener le président Pompidou à une rencontre avec le président Nixon, toujours à bord du 001
– Le 10 janvier 1973, il effectue le premier vol du 02 [Concorde de présérie]
– Le 3 juin 1973, il est aux commandes du 02 pour une splendide démonstration de maniabilité à l’occasion du Salon du Bourget, marqué par le tragique accident du supersonique russe TU-144
– Le 26 septembre 1973, le Concorde 02 relie pour la première fois Washington à Orly avec 32 passagers à bord. Pour cette « première transatlantique », réalisée en 3h33 (dont 2h16 en supersonique), Franchi, premier pilote, est accompagné de Gilbert Defer.
– Le 19 octobre 1977, il pose pour la première fois Concorde à New York pour mettre au point les procédures d’approche en vue de l’imminente ouverture de Kennedy Airport à l’exploitation des supersoniques d’Air France et de British Airways.
Jean Franchi participe également à l’entraînement des premiers équipages d’Air France affectés à Concorde et c’est à lui que notre ami Fernand Andréani doit ses premières heures sur le supersonique.
Les essais de Concorde achevés, on lui confie le prototype du « Transall Nouvelle Génération » pour son premier vol le 9 avril 1981. Son amitié avec Jean Pinet, ingénieur-pilote d’essais Concorde, à qui l’on doit la création de la société Aéroformation, lui vaut de devenir son collaborateur comme moniteur Airbus. À partir de 1984, la Panam lui confie la réception des Airbus qu’elle a commandés, ainsi que l’entraînement de ses pilotes.
A Toulouse, le service des essais en vol considérait comme exemplaires ses comptes rendus précis, rédigés d’une petite écriture soignée et riches de remarques toujours pertinentes. Si Jean Franchi n’a jamais cherché à se mettre en avant, ses mérites unanimement reconnus lui valent la médaille de l’Aéronautique en 1957 et la Légion d’Honneur en 1979. Il laisse à son épouse et à ses quatre enfants le souvenir et l’exemple d’un homme de valeur, de courage et de droiture.
Au terme de sa carrière de pilote, Jean Franchi totalisait 8000 heures de vol.
Jacques Noetinger