Par Pierre Grange
20 ans après, Concorde à Brétigny
Article paru dans Envolée, journal d’information et de liaison du Centre d’Essais en Vol (CEV)
Le 08 avril 1993, le CEV effectuait un vol d’essai sur Concorde, à l’occasion de la certification du système anticollision TCAS II sur cet avion. Le TCAS II allait devenir obligatoire, à compter du 31 décembre 93, pour tout avion de transport public volant dans l’espace aérien américain. Concorde n’échappe pas à la règle.
Par souci de réduction des coûts, il est décidé de n’effectuer qu’un seul vol, regroupant certification et développement de l’installation complète : nouveau transpondeur mode S et TCAS II proprement dit. C’est donc en équipe intégrée CEV, Aérospatiale et STNA (Service Technique de la Navigation Aérienne), et avec l’assistance technique d’Air France, que le vol devait se préparer et s’effectuer. A l’issue de deux rouleurs, effectués les 6 et 7 avril sur la plateforme de Roissy, le feu vert est donné pour le vol du 8.
Le profil de l’essai consiste, après une accélération à Mach 2, à effectuer en subsonique des face à face avec l’A320 N°01 (jouant le rôle d’avion-intrus) pour évaluer le fonctionnement nominal du système anticollision puis enfin à effectuer un certain nombre d’évolutions permettant de vérifier le transpondeur mode S.
Le décollage est entrepris à 13h50 à la masse de 163 tonnes. 83 tonnes de carburant ont été embarquées. Le profil supersonique est effectué en circulation aérienne générale, en suivant la trajectoire normale des départs à destination de New York. A la verticale du Havre, cap sur la Manche, les réchauffes sont allumées et Concorde fait une montée supersonique parfaite. J’éprouve à nouveau la qualité des commandes de vol de Concorde (avion quitté 4 ans plus tôt), aussi précises et agréables en transsonique qu’à Mach 2. Les réchauffes sont coupées après 10 minutes, à 43000 pieds et Mach 1.7. La croisière supersonique ascendante commence alors. Mach 2 et 50000 pieds sont atteints par le travers de Brest, la trajectoire s’infléchit vers le sud avant d’entamer le virage retour par la droite vers Guernesey. La décélération s’effectue en ligne droite face aux îles anglo-normandes. A 60 km nord de Morlaix « le Mach est passé » en décélération et nous réintégrons le domaine subsonique. Nous quittons alors le CCR (Centre de Contrôle Régional) de Brest pour passer en CER (Circulation Essais Réception). DER Brest, DER Paris (*), Tours Essais et Brétigny Approche vont se relayer pour nous permettre de passer tout l’ordre d’essai. A 20 tonnes à l’heure, il n’est pas question de perdre du temps. Comme à l’habitude, la CER fera un travail remarquable. (*) DER : le Détachement Essais Réception est installé dans la grande salle du CCR et contrôle les avions en essais tout en se coordonnant avec les opérateurs présents dans la salle de contrôle.
C’est le premier A320 d’essai, le 01 qui a joué le rôle de l’intrus. Vu depuis la cabine du Concorde.
L’A320 nous attend du côté de Dinard et le vol relatif peut commencer. Le fonctionnement du TCAS est nominal, voir « Concorde et A320 face à face ». Cela nous permet de « libérer » l’Airbus vers 16h15. La suite du programme nous amène ensuite à Brétigny pour deux atterrissages dont un en automatique. Il est 17h 15, il ne reste que 18 tonnes ! Il est temps pour Concorde, après ce bref retour dans le monde des essais, de rentrer à la maison.
8 avril 1993, Concorde retrouve Brétigny après 20 ans d’absence. ©AAEV-DR
Dans les cales à CDG, il reste 13 tonnes à bord, à l’issue d’un vol de 4h23 dont 35 minutes à vitesse supersonique.
Participants à ce vol : Air France : MM. Arondel (CDB), Marcot (OPL), Escuyer (OMN). Aérospatiale : M. Ronceray (Ingénieur Navigant d’Essais). STNA : M. Garrigues (Ingénieur) CEV : M. Grange (Pilote d’Essais), Mlle Loisel (Ingénieur Navigant d’Essais).
Présentation du TCAS.
Le système anticollision TCAS (prononcez Ti Casse) est un dispositif embarqué, qui fonctionne indépendamment de tout moyen au sol ou du contrôle aérien et qui fournit au pilote une protection envers tout aéronef équipé d’un transpondeur. Il surveille les avions à proximité en interrogeant leurs transpondeurs toutes les secondes et en écoutant leurs réponses.
Ainsi, ce système est en mesure de présenter au pilote les informations de position (distance, relèvement, différence d’altitude) de tout avion-intrus évoluant alentour. Suivant la menace qu’ils représentent, les intrus sont répartis entre quatre catégories. Chacune est représentée sur l’indicateur TCAS par un symbole de couleur différente.
– Others : l’intrus est situé entre 1200 et 2700 pieds d’altitude de l’avion TCAS et à une distance supérieure à 10 km. Il est représenté par un losange vide de couleur bleue.
– Proximate : l’intrus est situé à moins de 1200ft et de 10 km. Il est représenté par un losange plein de couleur bleue.
– TA (Traffic Advisory) : lorsqu’un avion se rapproche de façon excessive, le TCAS donne au pilote un « avis de trafic » qui l’alerte visuellement (Le symbole intrus devient ambre) et oralement par une alarme « Trafic, Trafic ! ». Cette alarme de proximité se produit entre 35 et 48 secondes avant le point présumé où les deux avions seront les plus proches.
– RA (Resolution Advisory) : si les deux avions continuent à se rapprocher dangereusement, le TCAS II fournit au pilote une manœuvre d’évitement dans le sens vertical, ou « avis de résolution ». Cette manœuvre d’évitement, délivrée entre 20 et 35 secondes avant la collision présumée, est associée également à une alarme vocale (« Climb ! » par exemple) et visuelle (Le symbole devient rouge).
Historique.
C’est la spécificité de la circulation aérienne aux Etats Unis qui a amené les Autorités de ce pays à penser système anticollision. En effet, là-bas, la plupart des avions civils et militaires opèrent en vol à vue, et les chances de collisions augmentent avec le trafic. L’avion assure aux USA 14% des déplacements interurbains, contre 2% en Europe. De ce fait le trafic aérien dans les grandes zones terminales est extrêmement dense et hétérogène : gros porteurs, avions STOL, hélicoptères, avions légers, hydravions se côtoient, pratiquent les mêmes aéroports, en régimes de vol différents. Il est toujours étonnant pour un 747 ou un Concorde, sous contrôle radar, de se poser à Kennedy en approche parallèle avec un avion léger en vol à vue.
C’est à la suite d’une collision aérienne, survenue au-dessus du Grand Canyon, entre un Super-Constellation TWA et un DC-7 UNITED, le 30 juin 1956 (128morts), que l’industrie aéronautique américaine a décidé de développer une système anticollision embarqué (CAS pour Collision Avoidance System) et c’est aujourd’hui (article paru en 1993 dans Envolée, journal d’information et de liaison du Centre d’Essais en Vol) que nous voyons les fruits d’un développement technologique qui s’est poursuivi pendant plus de trente ans au milieu de nombreuses controverses techniques.
Postface. On peut ajouter que la mise en service de ce système a été très bien accueillie par les équipages, et qu’à la surprise générale, il s’est avéré très utile en circulation IFR alors qu’il avait été conçu pour pallier au risque de collision avec les trafics VFR. Il a fallu quelques temps avant que les contrôleurs ne s’habituent à ce système qui s’intercalait entre eux et les avions.
PG
Voir le compte-rendu de ce vol d’essais.