Par Hubert Protin
Alors que les dernières rotations commerciales Concorde s’achèvent en ce 31 mai 2003, le BVFF reste cloué dans son box du hangar H3 de la Maintenance. Il est à ce moment-là en GV (Grande Visite) pour une durée de 5 mois. Son état technique n’est pas compatible avec le vol puisqu’il est juste au milieu de son immobilisation, totalement déshabillé pour effectuer les inspections détaillées de sa structure et de ses systèmes.
31 mai 2003, le BVFF en Grande Visite
Il faut sauver le BVFF de la ferraille !
Si ses collègues en état de voler ont déjà trouvé leur dernier lieu d’atterrissage, l’avenir du BVFF est bien incertain et cela inquiète de nombreux agents de la compagnie. Tout le monde est bien conscient qu’il faudra investir plusieurs millions d’euros en maintenance pour le faire voler une seule fois. Le spectre du BVFD, ferraillé en 1994, rôde dans les couloirs. Il va être démantelé par une entreprise spécialisée juste devant son hangar. A mon arrivée au travail un matin, je trouve des oriflammes suspendues par les techniciens au plafond du hangar et des panneaux accrochés au fuselage du BVFF « il faut sauver le BVFF de la ferraille ». Personne n’ose croire à cette fin dramatique mais je partage cette inquiétude et cette probabilité.
Sauvons le BVFF de la ferraille !
[Le 70ème anniversaire d’Air France sera une chance pour le BVFF. Repeint pour l’occasion, il resplendira le 7 octobre 2003 aux côtés de son compère DC3 dans le hangar H3. Ce jour-là, Henri Protin fera part au président Spinetta de son projet d’installation du BVFF sur pylônes à CDG. « Je suis d’accord, il faut le faire ! », une réponse qui donnera du cœur à l’ouvrage à toutes les équipes Concorde de la Maintenance. Ensuite tout va aller très vite. Décider du site d’exposition, signer une convention avec ADP, sans oublier la conception technique d’une mise sur pylônes d’une telle masse avec une forte prise au vent, tout sera bouclé en une année.]
Fin septembre 2005 la phase préparation du site est terminée. Tous les contrôles de conformité et de certification sont validés. Il faut maintenant établir la procédure de levage de l’avion pour venir le poser sur les pylônes. C’est une procédure qui n’est pas prévue dans la documentation technique constructeur. Heureusement nous bénéficions de l’expérience allemande qui l’a déjà réalisée pour le BVFB à Sinsheim avec le concours de l’engineering Concorde AF. Le BVFF sera donc suspendu par 3 points, deux via l’extrados au niveau de chaque train principal et un sur le point fort de la structure fuselage avant.
18 octobre 2005
Le BVFF quitte définitivement le hangar H3 pour rejoindre le site d’exposition. Ce sera le dernier mouvement tracté d’un Concorde à CDG. Avant de le laisser partir, les équipes de maintenance, le cœur brisé, la larme à l’œil vont encore une dernière fois lui apporter une délicate attention. Comme pour un dernier au revoir ils veulent qu’il soit beau, alors ils vont le chiffonner, le lustrer, nettoyer pare-brise et hublots allant même jusqu’à appliquer une cire noire sur les pneus…c’est touchant !
A la veille du grand jour, le BVFF quitte le hangar pour rejoindre le site d’exposition
19 octobre 2005
C’est le grand jour ! L’armada se met en place à l’aube. Le ballet des engins spéciaux s’anime pour prendre leur position définitive. La tension est perceptible chez tous les acteurs pendant le briefing de début de chantier. C’est un événement unique et on pense tous à l’aléa qui viendra bloquer l’opération.
Les grues sont en position, les filins les reliant à l’avion sont mis en tension. Le réseau de communication entre les conducteurs de grue et le chef de manœuvre – coordinateur est établi. La stabilité de l’avion pendant le levage passe par un équilibrage parfait des charges entre les grues.
Première étape : soulever l’avion jusqu’à ce qu’il quitte le sol pour que les techniciens Concorde installent les interfaces trains/pylônes.
Seconde étape : soulever l’avion verticalement puis transversalement pour l’amener de sa position de parking au sol jusqu’à atteindre la verticalité des interfaces de train avec les pylônes.
Troisième étape : donner l’attitude finale de l’avion assiette et inclinaison avant la descente finale sur les pylônes.
Quatrième étape : c’est la phase délicate de l’opération, il faut aligner les ferrures d’assemblage entre elles pour un ajustement au 1/10ème de mm. Les grues mastodontes sont manœuvrées avec délicatesse par les opérateurs sans aucun couac. Tout est aligné presque au premier essai.
Cinquième étape : les axes de liaison sont mis en place sans difficulté effaçant nos craintes de désalignement. Les grues relâchent la tension des filins, le BVFF ne bronche pas.
Mission accomplie bravo à tous les intervenants !
Soutenu par 3 grues « mastodontes », le Fox deux fois s’envole pour la dernière fois
L’arrimage final
Après le retrait de tout le matériel encombrant la zone, on peut mieux apprécier l’ouvrage. Le BVFF est là, suspendu dans l’univers pour lequel il a été conçu. Avec un petit peu d’imagination et de recul on pourrait presque reproduire la réalité de l’AF002. En ce soir d’automne, le soleil un peu curieux s’est invité à la fête et nous offre son plus bel effet rougeoyant dans l’axe avion pour des photos d’exception. Le lendemain matin c’est un manteau de brouillard qui enveloppe le BVFF pour un nouveau cliché fabuleux. Il y a même quelques oiseaux qui sont venus rendre hommage au grand frère le bel oiseau blanc dont les pattes sont engluées sur son perchoir.
Les stars ont besoin de lumière pour les mettre en valeur le soir venu. Le lot éclairage est confié à un cabinet spécialisé dans le domaine des œuvres d’art. L’environnement sous l’avion reproduira un effet nuage donnant sous des variations de bleu, réfléchies sur l’intrados, une impression de mouvement. La simulation de l’allumage des post combustion sur les quatre moteurs révèle la puissance de la machine et restitue l’image spécifique de Concorde au décollage. Enfin l’éclairage de la cabine et du cockpit apporte la notion de vie et d’activité omniprésente.
Chaque jour, des centaines d’usagers ou d’employés de l’aéroport circulent à proximité du BVFF. Certains regrettent de ne plus pouvoir voler à son bord, d’autres en ont rêvé et n’ont pas pu le faire mais il y a aussi ceux qui n’ont jamais eu la chance de le voir voler.
HP
Photos et vidéo “Le dernier décollage du Fox Fox” © Collection Hubert Protin
Le dernier décollage du F-BVFF par Hubert Protin (Article intégral)
© Pascal Chenu