Par Nicole Méneveux
Le 22 novembre 1977, Nicole Méneveux, alors hôtesse de l’air, embarque à bord du supersonique immatriculé BVFD pour le premier vol commercial régulier Paris-New York.
Le 22 novembre 1977 fut une journée mémorable pour l’histoire de l’aviation commerciale. Et j’ai eu l’immense chance de participer à cet événement. Les deux compagnies aériennes, British Airways et Air France, avaient enfin gagné la longue et injuste bataille que leur avait infligée l’autorité portuaire de New York, le Ponya (Port Authority Of New York). Elles avaient obtenu l’autorisation pour leurs appareils, merveilles de technicité et d’esthétique, de se poser sur le tarmac de Kennedy Airport. Ce qui nous était interdit depuis plus de dix-huit mois.
En cabine, les neuf navigants étaient tous bien décidés à vivre pleinement ce vol inaugural et à tenter d’atteindre l’excellence. Avant le décollage, nous étions très émus mais il nous fallait rester concentrés afin d’exécuter un service parfait. Il y avait à bord le secrétaire d’État aux Transports, Marcel Cavaillé, les Président et Directeur Général de notre Compagnie, des personnalités du monde des affaires et de la presse. Plus une trentaine de voyageurs ayant, pour certains, économisé afin de réaliser leur rêve. Je me souviens de leurs yeux écarquillés lorsqu’ils ont découvert l’habitacle étroit de l’appareil aux allures de Caravelle. Les hublots de petite taille. Les sièges élégants et confortables.
Nicole Méneveux à la coupée. Maurice Bellonte et André Turcat se rencontrent avant d’embarquer
Nous étions très impressionnés aussi, par la présence d’un grand monsieur de l’aviation, Maurice Bellonte, alors octogénaire. Émouvante image que celle de ce pionnier s’apprêtant à savourer un demi-siècle de progrès. Les 1er et 2 septembre 1930, il avait, avec son ami Dieudonné Costes, réalisé la première liaison Paris-New York en 37 heures et 14 minutes à bord de leur monomoteur à une vitesse de 173 km/h. Il ignorait alors que, près de cinquante ans plus tard, il ferait ce trajet en 3 heures et 33 minutes avec une vitesse moyenne de 2200 km/h.
Au moment du décollage, l’émotion est intense. Nous quittons le parking à 11 heures. Décollage sept minutes plus tard. Nous sommes alors littéralement scotchés à nos sièges. Le bruit est assourdissant sur la piste. Avec 70 tonnes de poussée au décollage, l’appareil ne murmure pas vraiment !! A 11 heures 22, nous sommes à la verticale du Havre, à 8500 mètres. La vue est époustouflante : d’un côté, les falaises d’Étretat. De l’autre, la pointe du Hoc, où les rangers avaient débarqué, le 6 juin 1944. En bas, des gens sont sans doute venus entendre le double bang, si impressionnant. Mais en cabine, tout est calme.
On vole maintenant, toujours à 2200 km/h, au-dessus de l’océan, qui se trouve 17000 mètres plus bas. Aucune turbulence à cette altitude. Alors que le machmètre poursuit sa course folle, Mach 1 puis Mach 2, il nous faut faire vite et bien de notre côté. Nous servons l’apéritif. Avant de dresser les tables avec nappes et serviettes assorties. Au menu : caviar, foie gras, turbot, selle d’agneau ou volaille truffée. Ces plats, préparés par de grands chefs et accompagnés, avec délicatesse bien sûr, de Champagne Dom Pérignon et de vins fins, seront dégustés au-dessus de Terre-Neuve. Au café-digestif, nous amorçons la descente. Le jour se lève à New York et le service est presque terminé. Nous nous posons volontairement avec trois minutes de retard afin de permettre au Concorde d’atterrir simultanément avec son jumeau de British Airways, qui arrive de Londres.
Le Fox Delta au départ de CDG puis à JFK devant le Concorde britannique à l’atterrissage
Moment sublime que celui où les deux supersoniques blancs roulent majestueusement l’un vers l’autre sur le tarmac, comme pour se faire un bisou. J’avais les larmes aux yeux et je n’étais pas la seule. Ça y était, nous avions gagné la bataille engagée contre le bruit par les associations de défense américaines. L’Empire State Building n’avait pas vacillé. L’immeuble de verre des Nations Unies non plus. Car les deux oiseaux blancs, dociles, n’avaient pas dépassé le niveau de décibels autorisé. Et contrairement à ce qui avait été annoncé, et que nous redoutions, aucune manifestation de riverains et autres ennemis du supersonique ne nous attendait pour nous jeter des tomates. Merci aux ingénieurs de l’aérospatiale d’avoir réalisé des exploits pour que ce 22 novembre existe.
Propos recueillis par Sylvie Lotiron
Article paru dans VSD N°2082 20 juillet 2017
Nicole Méneveux en robe Concorde