Cette phrase je l’ai entendue plusieurs fois dans la bouche de mon instructeur Jean Franchi, lors du premier stage Concorde auquel j’ai eu la chance de participer à Toulouse à compter du 13 octobre 1975 ! Il en a fait la démonstration au simulateur aux 3 stagiaires que nous étions, Jean-Paul Le Moel CDB, Jacques Lafaye OMN et moi-même OPL.
Sans entrer dans les détails, le système de détection d’un défaut, le MWS, Master Warning System, avertit les PNT d’une détection anormale d’un paramètre ou d’une panne sur un élément important de l’avion. Nous avions ici un voyant ADS (Air Data System) allumé en rouge, doublé d’une alarme sonore, pour nous indiquer un écart anormal concernant certains paramètres de vol, relevés par les détecteurs de l’avion (incidence, Mach, altitude pression, vitesse indiquée).
Pourquoi cette mise en garde très judicieuse de la part de Jean Franchi ? Parce que si dans une phase d’approche en vue de l’atterrissage nous avons un écart dans nos indications de vitesse cela signifie qu’un de ces indicateurs est en défaut, nous n’avons pas le temps de détecter lequel est en panne. Si c’est celui du pilote qui exécute l’atterrissage et qu’il tient compte d’informations de vitesses fausses la situation peut devenir dangereuse.
Le Master Warning veille ! Démonstration.
Nous sommes le 9 janvier 1977 et l’équipage Concorde se retrouve à la PPV à Roissy pour le vol AF 053 de Paris à Washington. Notre avion est le F BVFC, le Commandant de Bord André Gély, l’OMN est Jacques Lafaye, mon co-stagiaire à Toulouse. Je suis OPL sur ce vol et nous avons avec nous dans le cockpit Jean-Claude Penaud, OPL en fin de qualification sur Concorde. Nos amis PNC sont Catherine Bertin en CCP, Françoise Dauchy, Philippe Guédé, Françoise Lemée et Joelle Modolo, (il me manque le nom d’un PNC).
Inaugural Mexico : André Gély, Jean Cazin, Alain Bataillou © Bataillou. A droite Jean Franchi © AAEV
En ce mois de janvier la météo n’est pas bonne sur l’est américain. On nous prévoit du vent très fort en altitude ainsi qu’au sol, et une tempête de neige à l’arrivée. Nous décidons d’emporter pratiquement le plein complet en carburant, soit 95,3 tonnes. L’horaire prévu est 19h00, nous quittons le parking à 18h58 avec 52 passagers à bord. La traversée océanique en supersonique se passe très bien, André Gély aux commandes. Pendant la croisière nous suivons la météo de Washington, toujours aussi mauvaise avec de la neige. Nous revenons en subsonique au sud de New-York et survolons au niveau 390 et à Mach 0.95 le VOR de Robinsville (RBV). Je note dans la centrale à inertie le vent en ce point : du 270° force 185 kt, plus de 330 km/h ! Nous sommes à Mach 0.95 et notre vitesse sol est de 360 nœuds, exceptionnellement basse avec ce vent de face, notée dans mon carnet ! En contact avec le contrôle d’approche de Washington Dulles, on nous donne la piste 01 gauche pour l’atterrissage. Nous avons un peu de turbulences dues à ce vent fort, nous voyons défiler la neige dans la lumière des phares de l’avion.
Alors que nous sommes alignés dans l’axe de la piste, sans la voir dans cette nuit d’hiver, et que nous descendons vers 1500 pieds, le voyant ADS Rouge s’allume brusquement et le gong sonore associé retentit ! Dans l’immédiat, aucune autre alarme ou drapeau n’apparaissent sur nos tableaux de bord. En quelques secondes nous cherchons l’origine de l’alarme pendant que le Commandant continue calmement l’approche, tout en nous interrogeant, concentré sur son pilotage. Et il me revient alors en mémoire la phrase de Jean Franchi : « Méfie-toi de l’ADS Rouge en finale, tu remets les gaz d’abord et tu cherches à trouver la panne après ! ». J’annonce alors dans le cockpit : « Il faut faire une remise de gaz pour identifier la panne ».
Le Commandant effectue la remise de gaz en interrompant la descente. J’informe de notre manœuvre la tour de contrôle par le message radio conventionnel « Pan, Pan ». Nous survolons la piste sans la voir à 1500ft, et on nous donne un cap dans l’axe. A cet instant un drapeau apparaît sur nos deux anémomètres. La tension retombe dans le poste et Jacques notre OMN annonce alors : « panne du réchauffage pitot droit » ! En effet sur le panneau supérieur un voyant ambre s’est allumé signalant la panne de la résistance électrique qui dégivre le tube pitot droit, celui qui délivre les informations anémométriques de mon côté. Nous comprenons qu’en givrant dans la neige, du fait de la panne de son réchauffage, il a fourni une mauvaise indication de vitesse à mon anémomètre. Le Master Warning a détecté un écart dans les indications de vitesse, il a fait son travail en nous alertant. Nous effectuons la check-list qui s’impose, je commute sur le système gauche qui fonctionne bien et tout redevient normal.
Je signale au contrôle que tout va bien, il nous donne des caps pour un atterrissage sur la piste inverse, la « 19 droite », le vent étant plein travers. Atterrissage sans problème sur la piste enneigée et nous arrivons au parking avec un peu de retard sur l’horaire, à 23h21 au lieu de 22h55. Il nous reste, au parking, 8,5 tonnes de carburant dans les réservoirs, il fallait bien être prévoyant au départ !
Malgré l’alarme ADS Rouge tout s’est bien passé ! Merci Jean !
AB