Au-delà de mon rêve
1948, c’est cette année-là que je vois le jour dans un petit village perdu en cette vaste plaine agricole qui depuis a fait place à l’un des plus importants aéroports au monde : Roissy-en-France
Une famille marquée par les deux conflits mondiaux et une fratrie de six enfants dont trois handicapés physiques et mentaux auraient pu me résigner à un relatif pessimisme et un certain fatalisme.
J’arpentais les chemins de terre, je traversais les champs et je levais les yeux vers le ciel du Bourget tout proche. Rapidement, un rêve, « mon » rêve, prenait forme : moi, le gamin sans vélo, quand je serai grand, je serai dans l’aviation et je serai pilote. Non seulement ça mais, aussi et surtout, comme par gout de revanche sociale, je voulais créer ma compagnie pour emmener des touristes survoler là où mes copains partaient en colonies de vacances, ces lieux dont les vues aériennes agrémentaient mes livres de géographie : le Mont Saint Michel, Etretat, Paris, le Mont Blanc, les Côtes de France, les Châteaux de la Loire …. Avec, en outre, la prétention d’inscrire mon nom sur « mes » avions. J’avais 8/10 ans et déjà le rêve devenait projet : ma compagnie s’appellerait « Thorigny-Aviation ».
Mon rêve a été une étoile qui m’a indiqué le chemin.
Je vais gravir l’escalier de ce rêve. Ce sera l’Armée de l’Air et ses écoles de Saintes et de Rochefort, le brevet de mécanicien propulseurs, Dijon et ses Mirage III, l’obtention du brevet de pilote privé (brevet professionnel exclu pour cause de myopie). Ce sera en 1981, avec le soutien de la Socata du groupe Aérospatiale, la création de « Thorigny-Aviation », les survols espérés de sites touristiques puis une école de pilotage à Dijon ; 1989 : création d’« Air Loisirs Services » avec toujours les survols de sites, le partenariat avec le Musée de l’Air et de l’Espace au Bourget et celui avec Aéroport de Paris pour les visites de CDG. Des vols sur les jets L39 de la patrouille Breitling de Jacques Bothelin, elle aussi basée à Dijon, complètent une gamme de prestations la plus large destinée aux CE, associations, autocaristes ainsi qu’aux entreprises.
Volonté et passion, joies et peines, réussites et difficultés (pour l’essentiel dues à des règlementations toujours plus contraignantes) s’entrecroisent sans répit. Jusqu’à ce jour du vendredi 13 septembre 1996…
Au Musée de l’Air et de l’Espace, ce jour-là, est célébrée la restauration de Concorde 001. J’y salue Valérie Strauss, la chargée de communication qui me présente à deux collaborateurs de la prestigieuse Air France : Frank Debouck et Jean Conti.
Quelques jours plus tard, au siège de la compagnie, je suis face à eux pour me voir encouragé à une improbable mission jusque-là inimaginable dans mon esprit : valoriser, commercialiser et animer des boucles supersoniques. Irréel et pourtant ce grandissime défi ne peut qu’être … relevé !
Pourquoi moi ? Je devine que mon passé technique sur Mirage III, ma modeste mais réelle expérience du pilotage, ma culture de l’organisation et de l’animation d’événements sur le thème de l’aviation font de moi un homme du « sérail » à l’inverse des affréteurs habituels. Cette légitimité et cette confiance accordées me donnent des … ailes !!!
Je vais m’attacher, avec mon équipe, à additionner nos savoir-faire. Un programme sans équivalent est développé : le matin, « l’aviation d’hier » au musée de l’air, l’après-midi « l’aviation d’aujourd’hui » en zone réservée de CDG avant qu’à 16h30, nous soyons accueillis au « Salon Concorde » pour un embarquement vers Mach 2. Le tout avec le précieux concours de l’hôtel Hilton pour l’accueil, le déjeuner et l’après-vol, toujours pour les passagers un moment d’émotions et de partage avec « leur » équipage.
Ce sont des milliers d’hommes et femmes venus du monde entier pour réaliser leur rêve (voler sur Concorde, devenir supersonique) qui pénètrent dans leur Concorde comme un mariage entre dans une cathédrale ! Sourires et complicités entre eux. Sourires et complicités avec les PNC ; Que du bonheur.
Jamais, nous n’avons décollé avec un siège inoccupé. Taux de remplissage : 100% !!
A notre actif, trente et une boucles réalisées dans une époque difficile pour le « Bel Oiseau Blanc ». Les plus marquantes :
– La 1ère : le 7 juin 1998 en pleine période de la coupe du monde de football
– Celle du 29 décembre 2001 : reprise des vols spéciaux suite au drame du 25 juillet 2000
– Le 2 février 2002, British Airways ne se consacrant désormais qu’à la ligne Londres – New York, nous accueillons à notre bord les premiers passagers du tour opérateur anglais « Goodwood Travel » dirigé par Colin Mitchell, le plus important et plus fidèle affréteur supersonique. Un début de collaboration qui ne s’achèvera qu’à l’issue de la dernière boucle. Colin Mitchell est un homme et un professionnel d’exception, courtois et respectueux. Un exemple de « fair-play »
– Le 31 mai 2003 : la dernière et le tout dernier vol commercial de Concorde à Air France. Un grand moment de communion avec Jean-Louis Chatelain, son équipage, mon équipe et nos passagers français et anglais qui, par-delà l’accomplissement de leur rêve, sont convaincus de vivre et de partager un moment historique. Avec Colin, comme un symbole, nous occupons les deux sièges service et c’est Béatrice Vialle qui amène pour cet ultime atterrissage le « Fox-Bravo » sur la piste « 09 gauche » qui traverse l’ancien « chemin d’Epiais », là même où une grosse cinquantaine d’années plus tôt, mes parents m’ont appris à marcher et sur lequel je formais mes premières aspirations.
A cet instant, la boucle de mon rêve était « bouclée ». J’étais même allé au-delà puisqu’à l’époque (mi-années 50) rien ne nous laissait entrevoir l’aéroport de Roissy, pas plus que Concorde. Il faudra attendre 1962 pour que l’un et l’autre deviennent projets et défis. Moi qui, en rêve ultime, voulait mettre « mon nom » sur mes avions, c’est le logo « Air Loisirs Services » qui ornait chacune des têtières du supersonique….
Depuis plus de vingt ans maintenant, j’ai la chance et l’honneur de conserver une belle complicité avec ceux grâce à qui j’ai dépassé mon propre rêve et réalisé celui de tant d’autres.
Certes, je n’ai pas fait fortune mais je suis riche de la vie que j’ai vécue. Certes, je n’ai pas de médailles au poitrail mais je suis fier et honoré d’être de… l’Apcos. Une adoption et pour moi la plus belle des récompenses et des reconnaissances.
MT