Par Didier Le Chaton
OPL Concorde 1987 – 1993
Les équipages Concorde ont remarqué que le dernier trimestre de l’année est favorable à des temps de vol record sur New York – Paris. A cette époque, en effet, il n’est pas rare de bénéficier, aux altitudes de vol supersonique, d’une composante moyenne de vent arrière de l’ordre de cinquante nœuds. Pour faire un bon temps, encore faut il que tout se présente bien : des clairances directes, une gestion du vol pointue, en un mot, un équipage technique bien rôdé. De là à « descendre » en dessous des 3 heures, peu de navigants peuvent s’en vanter. Didier nous raconte sa nuit de Noël 1989.
24 décembre 1989 – Vol AF 002 New York – Paris en Concorde.
Equipage technique : CDB Gérard Duguet – OPL Didier Le Chaton – OMN André Lavillaureix.
Seulement 30 passagers sur ce vol qui, à la préparation, paraît à l’équipage propice à un très bon « temps » :
– Avion pas trop lourd : 170 tonnes au décollage pour une masse maxi au décollage de 185 tonnes
– Décollage piste 13 à JFK, face à la mer.
– La zone militaire en face de New York est inactive en cette veille de Noël. Les militaires ne font pas la guerre à Noël, c’est connu !
Donc clearance directe au 60° Ouest sans contourner cette zone ; températures inférieures à la standard pendant toute la montée, favorisant un meilleur rendement des moteurs. Dès 30.000 pieds, rencontre d’un très fort vent arrière qui continue jusqu’à 50.000 pieds, en fait, plus de 100 nœuds arrière (180km/h). A la coupure des réchauffes, à Mach 1.7, la température extérieure continue à être négative par rapport à la température standard et l’avion continue d’accélérer en montant.
A 50.200 pieds, Mach 2, nous avons passé la tropopause et la température redevient positive par rapport à la standard, ce qui améliore notre vitesse propre. Le vent est établi à 100 nœuds arrière et la vitesse sol est de 1260 nœuds (2300km/h) !! Elle va rester pratiquement constante pendant deux heures. Le commandant Duguet décide alors de déconnecter l’automanette et de maintenir 51.000 pieds en altitude constante pour rester dans le « jet ». La régulation de la poussée se fait manuellement par le CDB. L’équipage technique a seulement 15 minutes pour avaler son dîner ce soir-là car les « waypoints » arrivent à une vitesse folle !! Juste le temps pour le copilote de prendre les météos de Shannon et de Paris, de faire les calculs de points de non-retour, points équitemps sur quatre et trois moteurs. L’avion s’allège de son carburant et le CDB monte à 52 puis 53.000 pieds en surveillant la température totale du nez de l’avion qui ne doit pas dépasser les 127° Celsius de la limitation. Travers Lands End en Cornouailles Britanniques, autorisation de poursuivre via la Manche jusqu’à Dieppe au lieu de descendre tout de suite vers Guernesey, AF002 redescend à 50.000 pieds doucement pour garder Mach 2 et l’avantage du vent arrière. L’accessibilité de CDG est atteinte sans problème, on peut continuer. Descente vers 31.000 pieds, Mach 0.95 juste avant Dieppe. Croisière poussée même jusqu’à Mach 0.98 pour grappiller quelques secondes. La descente finale est retardée au maximum. Nous avons la possibilité de fermer les coquilles des moteurs intérieurs pendant la descente subsonique, cela donne un « vario » de 14.000 pieds/minutes en descente, on reste donc plus longtemps à un Mach subsonique élevé…
En contact avec la tour de Roissy, la piste 09 est demandée pour le gain de quelques secondes supplémentaires par rapport à la 10. Toucher des roues en toute sécurité après un vol qui n’aura duré que 2 heures, 59 minutes et 40 secondes. Arrivée au parking avec 20 minutes d’avance sur l’horaire.
DLC
PS. 2 heures, 59 minutes et 40 secondes constituent le record de vitesse entre New York Kennedy et Paris CDG. Il s’agit d’un record non officiel à défaut d’avoir embarqué un juge de la Fédération Aéronautique Internationale. Pour en savoir plus voir “Le Ruban bleu de Noël” par Alain Baron.
Didier Le Chaton, quelques années plus tard, CDB 747-400