Par Edouard Chemel
Dans son livre « Concorde mon amour », Edouard s’adresse à Annick Evain qui, à partir de ce dialogue, a su retranscrire la vie du « petit télégraphiste devenu pilote du supersonique présidentiel ». Cet extrait parle de la rencontre de Concorde et du Spirit of Saint Louis.
Je ne sais pas si l’on se rend compte de ce qu’ont été les 33 heures de traversée vécues par Charles Lindbergh, cet homme exigeant et rigoureux. Il avait pratiquement conçu l’avion lui-même, en Californie, avec les frères Ryan, et il avait insisté pour que l’appareil soit difficile à piloter, qu’il soit instable. Comme ça, disait-il, « j’aurai la certitude de ne pas m’endormir ! »
Figure toi qu’un beau jour de 1987, Richard Fenwick, président de l’Aéroclub de France, décide d’affréter un Concorde entre New York et Paris pour célébrer le 60ème anniversaire de la traversée de l’Atlantique par Charles Lindbergh, pendant le Salon du Bourget. Tu imagines mon enthousiasme ! Mon projet de me poser au Bourget exactement à la même heure que « Lindy » n’a pas eu de succès : l’Aéroclub de France voulait avoir des spectateurs à l’arrivée, or Lindbergh avait touché des roues à 22h22 !
Fenwick avait organisé l’affaire de sorte que la copie du Spirit of Saint Louis arrive à Cherbourg par bateau, et que, de là, son pilote Verne Jobst l’amène au Bourget. Je l’ai rencontré avant mon départ pour New York et lui ai suggéré de faire une photo historique des deux avions. Pour cette photo, j’avais prévu que le Concorde affrété arrive à la verticale du Bourget aux alentours de 20h10 le 21 mai. J’avais pris une marge de 20 minutes et lui avais dit de se trouver absolument à 19h50 à l’entrée de la piste 03. Ainsi, avec la perspective, Concorde donnerait l’impression de survoler le Spirit of Saint Louis. Il m’a dit d’accord…
Vingt-quatre heures avant notre départ vers New York, j’ai contacté les gens du contrôle aérien de Roissy pour les aviser de la modification du plan de vol et du passage au-dessus du Bourget avant l’atterrissage à Roissy. Tout était entièrement bordé.
Une traversée de l’Atlantique en Concorde, c’était une minuterie. À l’année, 3 heures 26 minutes de moyenne, une pendule…
J’ai toujours aimé le faire au mois de mai. Tous les aviateurs passionnés de l’Aéroclub de France qui étaient à bord venaient les uns après les autres au cockpit. Nous sommes revenus par Dieppe après avoir fait une grande partie de la Manche en supersonique. Je suis descendu, je me suis retrouvé en finale, et l’avion de Lindbergh était là, sur le taxiway du Bourget, près de l’entrée de piste. Je n’ai pas vu Verne Jobst, mais j’ai senti en voyant son hélice tourner au ralenti que son cœur, lui, battait très vite. Il y a eu la photo…
Pli philatélique du 22 novembre 1987, célébrant les dix ans du premier vol Concorde vers New York. Il reproduit la photo du 21 mai montrant le passage du Sierra Delta au-dessus de l’entrée de piste 03 du Bourget. Le Spirit of Saint Louis est au point d’attente. © collection Philippe Borentin
J’ai remis un peu de poussée tout doucement pour maintenir le palier train sorti, fait un tout petit virage à droite, et ensuite me suis posé à Roissy.
La photo, en noir et blanc, a été faite un peu en travers, au moment où Concorde passait. Je l’ai retrouvée un jour en double page dans un livre écrit par un collègue. Je lui ai dit : « En voilà une belle photo ! » Il m’a répondu : « Oui, mais c’est un montage… » Il ne pouvait pas croire qu’elle avait bien été prise. J’en ai gardé un agrandissement, signé par Verne Jobst et André Turcat, que tu peux voir dans mon bureau.
EC
Pli transporté à bord du Sierra Delta le 21 mai 1987 © collection Philippe Borentin