Par Peter Holding
Flight Observer et Flight Test Engineer Concorde à la British Aircraft Corporation
Récit tiré de l’enregistrement effectué le 29 mai 2009 par André Rouayroux et Loïc Pourageaux
©Gens de Concorde – DR
Transcription Pierre Grange
Le 26 août 1974, le prototype anglais, le Concorde 002, effectue un de ses derniers vols, le 437ème. John Cochrane est commandant de bord, il est assisté d’Eddie Mac Namara (un autre écossais) en copilote et de Peter Holding en mécanicien navigant (infos site lesvolsdeconcorde.com). Pour l’équipage, il s’agit d’un vol sans histoire, il n’aura pas de compte-rendu à rédiger, un vol « cadeau » comme on dit aux essais. Après une présentation en vol au Weston-Super-Mare Air Show, ils rentrent vers Fairford. Mais laissons Peter témoigner.
« Au retour, Eddie Mac Namara dit à John Cochrane : Jock, lundi, c’est moi qui fait le vol de démo à Farnborough avec le pré-série, j’aimerais pouvoir faire une répétition en arrivant à Fairford. Okay, pas de problème ! Arrivé verticale terrain, Eddie débute sa présentation. A 300 pieds et 350 nœuds, moteurs au ralenti, il part en virage à 60° d’inclinaison avec sortie des traînées durant la décélération. A 320 nœuds, la visière ! à 270 nœuds, le nez puis le train ! La sortie du train, demandée par Eddie, est suivie d’un bruit d’explosion. On a pensé à une bombe ! What the hell ! crie Jock. J’ai regardé les indicateurs de train. Il y avait 3 vertes mais j’ai pensé ça suffit pas, sur cet avion il y a 4 vertes normalement, il en manque une ! Simultanément a retenti l’alarme Master Warning. J’annonce qu’on a perdu le circuit hydraulique vert, il est vide. Un nouveau double gong car on a perdu aussi le deuxième circuit, le jaune. Là je dis, attention c’est grave, on n’a plus qu’un circuit.
Sur demande de Cochrane, je vais en cabine pour vérifier à l’hyposcope ce qui a bien pu se passer. Côté gauche, mon sang se glace, c’est une scène de destruction : des tuyaux hydrauliques sont visibles, la contrefiche (*) pend et le train est poussé aérodynamiquement vers le moteur deux. En retournant au cockpit, je leur dit qu’on a presque perdu le train gauche ! Jock est incrédule mais prend la mesure de la situation. En tant que commandant de bord, il reprend les commandes. Avant l’atterrissage, il décrit à la radio la nature des dégâts, en prévision d’un atterrissage qui peut s’avérer catastrophique. Je vidange le carburant jusqu’à ce qu’il ne reste plus que 300 kilos dans chaque nourrice. Jock est un ancien pilote de chasse et d’habitude, ses atterrissages sont fermes. Cette fois-là, il a atterri comme un papillon, en douceur tout en déchargeant le train gauche. Après l’arrêt, on a tout coupé et on a évacué par les échelles de secours. L’avion semblait bouger un peu. Les gens de la piste sont arrivés. Après nous être assurés que l’avion était stable on a remis la contrefiche en place au moyen d’une barre tenue par des cordes. L’avion a été tracté vers le hangar.
On a appelé Henri Perrier qui est arrivé le soir même à Fairford. Il a regardé l’avion et nous a dit : vous avez eu de la chance les gars !
Que s’était-il passé ? En virage à 60° d’inclinaison, on prend 2g, le train pèse donc 2 fois son poids et les lignes de retour du vérin de rétraction (*) ont explosé par surpression. Au lieu de sortir en 15 secondes, les 2 trains sont tombés en 2 secondes. Ce sont les contrefiches de train (*) qui ont arrêté la chute ; celle de gauche s’est désolidarisée. Après l’atterrissage, on a inspecté le train droit et lui aussi avait souffert. Sa contrefiche ne tenait plus que par un fil. On a failli perdre les 2 trains … on a eu de la chance !
Pour la petite histoire, à Fairford il y a un parking où le public suivait tous les vols Concorde. Jock ayant expliqué notre problème à la radio, tout le monde était au courant de nos ennuis de train. Quelqu’un a dû appeler la BBC car ma femme qui écoutait la radio et qui me savait en vol a entendu : « annonce spéciale, le prototype Concorde s’est écrasé à Fairford ! » Heureusement elle a appelé Fairford qui l’a tout de suite rassurée.
Ce fut certainement mon plus mauvais souvenir sur Concorde … j’ai eu la bouche sèche ! »
Sur ce grave incident, le plus inquiétant est évidemment le non verrouillage du train principal gauche mais il ne faut pas négliger la perte de tous les liquides hydrauliques vert et jaune sur une panne simple : l’éclatement des canalisations de retour du vérin de rétraction gauche. Cela entraînait de graves conséquences sur les capacités de freinage et rendait le vol hasardeux, seul le circuit bleu restant valide. Grâce à Philippe Borentin nous pouvons consulter les Concorde Flight News du 1er octobre 1974 qui reviennent sur l’incident, en se cantonnant au problème de train. Hommage est rendu à l’équipage et à John Cochrane en particulier pour son “skillful and safe landing”. On peut noter que cela allait entraîner “some redesign of the mechanism” et qu’en attendant, toute manœuvre de sortie du train devrait se faire à un facteur de charge inférieur à 1.3 (absolute limit).
Après réparation, le 002 restera 18 mois sans voler et rejoindra le Musée de Yeovilton à l’occasion du vol N°439, son dernier vol, le 4 mars 1976.
(*) Le vérin de rétraction permet de rentrer le train et amortit sa descente.
La contrefiche verrouille mécaniquement le train en position basse
Merci à Patrick Sevestre pour ses précieuses informations techniques.