Par Serge Pichot
Serge était commandant de bord B747 à Air France et il nous conte un vol Paris – New York en Concorde effectué en passager. Il nous parle de son bonheur d’être accueilli à bord par son hôtesse préférée : Sandrine, son épouse qui officiait sur le vol !
Le soleil se lève.
Lentement !
Vous vous réveillez le matin avec ce sentiment exaltant qu’il va se passer quelque chose d’exceptionnel dans votre vie.
En effet quelques heures plus tard vous êtes au comptoir d’enregistrement d’Air France, pas n’importe lequel, celui du Concorde.
Passé ce dernier avec tous les égards réservés au VIP on vous dirige vers le salon Concorde, là où après avoir décliné votre identité et montré votre sésame vous avez droit à l’atmosphère feutrée des salons réservés aux grands voyageurs.
L’accueil des hôtesses est celui que l’on aimerait avoir partout lorsque l’on est un client, l’œil est velouté et l’attention remarquable, vous devenez soudainement « important » choyé, servi, admiré ; bref les pieds ne sont pas assez longs pour toucher le sol.
Après avoir dégusté un verre de Porto de la meilleure marque, pris un expresso Italien, débarrassé de votre vêtement que vous retrouverez à bord étiqueté, votre imagination fonctionne à plein régime ; avant de monter à bord du bel oiseau vous vous êtes déjà fait un film à l’image de l’accueil et de la mise en scène dans laquelle vous baignez depuis votre arrivée.
Ce sera du cinémascope dolby quadriphonique (quatre Olympus Rolls Royce) en supersonique !
L’annonce de l’embarquement vient d’être faite et les battements du cœur s’accélèrent, de plus c’est ma petite femme qui m’accueille à la passerelle votre émotion est en surround au comble du bonheur !
Vous faites en passant une affectueuse caresse au bel oiseau, très ému que ce soit la première !
Vous lui faites une petite prière : fais moi partager tes rêves… !
Vous abandonnez les derniers arômes terrestres pour aller vous énivrer là haut, tout là-haut, au 7ème ciel !
La première chose qui surprend c’est l’étroitesse de la cabine, comparée au Boeing 747, et la proximité du plafond ; c’est un côté formule 1 avec quatre sièges de front et 100 passagers derrière, l’atmosphère est également feutrée sobre et élégante, plus Putman que Pullman.
Arrivé à votre siège vous avez une pensée pour leur créateur, et avant d’y poser vos augustes fesses, vous imaginez les trésors d’inventivité qu’il a fallu déployer afin de faire en sorte que la cinématique soit adaptée à l’espace, sans trop sacrifier au confort !
Les annonces sont faites par le personnel de bord dans les deux langues, et la courtoisie qu’ils vous réservent est bluffante, chaque attention est anticipée, au moment de l’apéritif les VIP très connus, nommés par leur nom propre seront servis en fonction de leurs habitudes, ils n’auront pas à demander, on sait ce qu’ils aiment, Bordeaux blanc ou rouge, cigare, Perrier, Evian etc.…même le verre sera très rempli ou très peu ; leurs manies sont en mémoire et l’effet est royal !
On anticipe leur attente et leur bonheur est dans la fluidité du service où très peu de questions sont posées ; ce sont les réponses silencieuses qui les intéressent.
Il y a une ambiance Concorde, indéfinissable avec des mots, elle se sent et se ressent.
C’est un fabuleux mélange de technique, de sourires, d’accueil, de performances, de rêves d’enfance, d’imaginaire, d’annonces équipage, de repas, d’arômes, d’élégance et de raffinement.
Ça ne se raconte pas il faut le vivre !
Le commandant de bord nous fait une annonce technique, horaire, météo sur le parcours et à l’arrivée à New-York ; et vous regardez rapidement votre chrono, qui ne peut-être qu’un Breitling, dont le cadran gradué en 24 heures vous dit que vous arriverez deux heures plus tôt que celle de votre départ !
A cet instant vous savez que vous êtes embarqué dans une machine à remonter le temps !
La mise en route des Olympus vous le rappelle et le roulage bucolique vous rappelle encore plus l’écart entre la réalité du plancher des vaches et ce qui vous attend.
C’est fou ce que l’on remarque les lapins, les vaches, ou les pâquerettes avant le décollage !
En bout de piste et aligné après les check-lists d’usage, la post combustion mise en route et les milliers de chevaux vapeurs déchainés font penser à la tumescence des vagues qui enflent, lesquels font vibrer la carlingue et l’accélération qui vous colle au siège vous rappelle que c’est vous qui l’avez rêvé et que c’est Concorde qui est en train de le faire !
Le grondement qui précède le décollage fait penser aux hennissements de milliers de chevaux qui se cabrent avant le galop.
Vous allez décoller sur 2500 mètres pardon, 8202 pieds, à la vitesse de 400 km/heure, pardon, 250 mph, quelque soit la mesure que vous prendrez tout ceci se fera en 30 secondes, et là pourquoi s’excuser de ne pas trouver une autre unité de temps pour expliquer que ça va très vite !
Concorde est une sorte de danseur de tango qui mène la danse, vous bouscule, se cabre, virevolte, vous serre et vous étreint, il vous surprend au moment ou vous y attendez le moins, le tout au rythme de sa musique, de ses odeurs, on rêve de s’abandonner dans les bras de ses fauteuils !
Vos oreilles savent qu’il ne s’agit pas d’un avion subsonique, en revanche, à l’extérieur les riverains peuvent mettre leur montre à l’heure !
Concorde décolle, pardon a décollé, tout s’est passé si vite !
Vous vous remémorez les cours à l’ENAC de thermodynamique, d’aérodynamique, de météorologie, de navigation, de radionav, d’électricité, de carburant, de pressurisation, d’hydraulique, de droit aérien, de communication internationale, d’instruments de bord, de climatisation, de pilotage ; bref toutes ces disciplines nécessaires à faire voler un avion, qui représente 185 tonnes de ferraille dont 95 tonnes de fuel et bourré d’électronique, qui serait inerte au sol sans ces trois navigants qui vont le rendre vivant, actif et magique, à force de jongler entre toutes ces disciplines et jouer de leur art avec le plus beau joujou du monde.
Quand on imagine les trésors d’invention d’imagination des concepteurs, inventeurs, ingénieurs, mécaniciens, électroniciens, aérodynamiciens, thermodynamiciens, pilotes, hôtesses et stewards, et tous les autres, sans qui ce vol ne serait pas possible ;d’avoir pu mettre autour d’une table, après les décisions politiques et financières, des Anglais avec des Français et des systèmes métriques différents, des gallons et des litres, des nautiques et des kilomètres, des pieds et des mètres, bref de faire de nos différences autant d’intelligences, et réussir à faire voler ce qui n’était qu’ un projet, tout cela relève du miracle dont les humains(malgré leurs guerres) sont capables avec la grâce de Dieu.
Magique, démoniaque, exceptionnel, rare, les superlatifs ne suffisent pas à expliquer ce qui en fait est divin.
Vous êtes propulsé à 60000 pieds en vol stratosphérique, Mach 1 est passé en montée, la croisière est atteinte, le captain coupe la post combustion vers Mach 1.7, et votre avion continue d’accélérer en croisière jusqu’à Mach 2.0 ; il fait -56°c à l’extérieur, vous êtes ceinturé sur un siège qui file à la vitesse d’une balle de fusil (600 mètres/seconde) et dans une atmosphère feutrée à +22°c, où l’on perçoit le feulement des réacteurs, on a oublié que les 69 tonnes de poussée au décollage avalent leur 20 tonnes à l’heure de kérosène par moteur, que la carlingue s’est allongée de 20 centimètres avec la chaleur due au frottement de l’air sur ses parois, on oublierait presque le déjeuner qui nous attend ; vous aviez commencé à monter avec un excellent apéritif avec des olives, et vous êtes surpris de constater que vous avez encore le noyau dans la bouche comme ébahi, hébété, d’essayer de vous rendre compte de ce qui vous arrive, pardon de ce qui vous est arrivé.
Concorde s’est un avion du futur qui transforme le présent en passé.
C’est d’abord le sourire de votre hôtesse préférée qui arrive, avant le vôtre, à la vue du superbe plateau qui suit, le service est raffiné et chaleureux, chaque grain de caviar qui explose sur vos papilles vous fait nager dans le bonheur des bulles de champagne qui suivent, même le homard est à la nage, le tournedos Rossini (foie gras oblige), arrosé d’un Pommard grand cru 1985, termine votre arrivée sur un nuage.
Le vol de croisière va durer environ 2h30, ça vous laisse tout le temps nécessaire pour laisser vagabonder votre esprit, vous êtes si haut que vous percevez au travers des hublots la courbure de l’horizon, le ciel est bleu nuit sans nuages, vous volez au-dessus d’eux, si vous distinguez un bateau tout en bas, il lui faudra 3 semaines pour faire la traversée, un bon voilier 12 jours, un vieux voilier 3 mois, le Concorde 3 heures. Le Spirit of St Louis de Lindbergh avait mis 33 heures 30.
Vous dégustez votre café, avec un excellent Armagnac, et le bonheur vous arrive par vagues, vous savez que l’endroit est exceptionnel, que vous ne le referez peut-être plus jamais, ça fait partie des moments rares de l’existence qui vous transportent dans vos rêves à si vive allure, que seule la pensée peut dépasser. Un ange passe !
Vous commenciez à vous y faire, mais il va falloir redescendre sur terre, la clearance est demandée à Boston, et on repasse de Mach 2 à Mach 1 tout en perdant de l’altitude, avant notre procédure d’approche à Kennedy airport.
Les hôtesses et stewards, ont tout juste le temps de terminer leur service pendant cette phase de vol.
L’atterrissage très cabré dû au fait que cet avion augmente sa surface apparente au filet d’air en augmentant son assiette, oblige les pilotes à abaisser le nez pointu de Concorde pendant la phase d’approche, car il est dépourvu de volets qui auraient pu augmenter sa surface portante et éviter ainsi de se cabrer.
La vue de la piste est ainsi possible et l’atterrissage viril, vous percevez nettement le freinage et la décélération que les freins au carbone engendrent, lesquels éviteront la sortie des parachutes de ralentissement en cas d’emergency.
Un savant mélange de formule 1 et d’atterrissage de la navette Discovery en Floride.
L’arrivée au contact aura pris 3 heures 20 de vol, et vous êtes toujours assis à votre siège comme sonné par cette machine à remonter le temps (vous pensez au tour du monde en 80 jours de Jules Verne) le tour de manège de votre enfance se termine ; l’instant magique s’évanouit comme les bulles de champagne.
Lentement le silence revient….
Les Américains disent que la différence qu’il y a entre les enfants et les adultes ce sont la grosseur de leur jouet et leur prix.
Votre enfance vous revient à l’esprit avec toute sa naïveté et sa candeur, vous craignez que le carrosse ne se transforme en citrouille à minuit, vous avez du mal à vous extraire de votre siège que vous trouvez soudainement très confortable !
La seule transition qui va vous faire passer plus facilement de Pythagore et Descartes au nouveau monde, c’est l’adorable sourire de votre hôtesse préférée, qui vous rappelle que vous êtes quand même vivant, et que dans son regard on peut y voir les yeux de l’Amour.
Un rêve s’éteint un autre s’allume, il vaut mieux vivre ses rêves que rêver sa vie !
A condition bien sûr de garder des yeux d’enfant et de n’être jamais blasé.
Regardez les yeux d’un enfant comment ils sont ouverts devant le merveilleux, c’est pour cela que la lumière l’éclaire à l’intérieur, et lui donne tant de joie et de bonheur
A cette latitude la terre a tourné moins vite que le Concorde, et celui-ci a rattrapé le soleil ; comment voulez vous être blasé quand vous rattrapez la lumière, que celle-ci vous éclaire, il faudrait fermer les yeux pour ne pas le voir.
SP
Sandrine et Serge Pichot